Invasion prématurée de l'Irak et plans pour l'après-guerre "complètement inadéquats". 13 ans après le déclenchement de la guerre d'Irak, le rapport de la commission Chilcot sur l'engagement en 2003 du Royaume-Uni en Irak, a dressé, ce mercredi, un bilan accablant de l'action de l'ancien Premier ministre Tony Blair. L'analyse de Manuel Lafont Rapnouil, directeur du bureau parisien du Conseil européen des relations internationales (ECFR).

Publicité

En quoi les conclusions du rapport Chilcot sont-elles importantes ?

Beaucoup de ce que contient le document confirme ce qui était connu, ou soupçonné auparavant. Le jugement de l'histoire a précédé les conclusions de l'équipe de John Chilcot. On voit tous les jours le résultat de la politique désastreuse de l'administration Bush et du gouvernement de Tony Blair.Tout récemment encore avec l'attentat qui a fait 250 morts à Bagdad, dimanche.

Ce qui surprend, c'est la sévérité avec laquelle la commission juge la politique du gouvernement Blair. L'ex-Premier ministre espérait de l'eau tiède. Il est sévèrement mis en cause.

Le rapport s'était fixé trois objectifs: examiner la marche vers la guerre, les conditions de l'intervention elle-même et la préparation de l'après intervention. Le bilan est accablant pour Tony Blair. Il montre que le Premier ministre a décidé d'entrer en guerre bien avant 2003, que Tony Blair a très tôt assuré à George W. Bush qu'il le soutiendrait quoi qu'il arrive.

Pour ce faire, il est accusé d'avoir opéré une distorsion de la réalité décrite par les services de renseignements. Le dirigeant travailliste prétendait, que toutes les options diplomatiques avaient été épuisées; le rapport montre que ce n'était pas le cas. L'ancien dirigeant du Labour a en permanence minimisé les risques que posait l'intervention sur la stabilité du et de la région et a mal préparé l'après-Saddam.

Quelles peuvent être les suites du rapport Chilcot?

Au Royaume-Uni, beaucoup vont avoir du mal à imaginer qu'il n'y aura pas de suites, compte tenu de la sévérité du rapport. John Chilcot a nettement personnalisé son verdict. Alors que Tony Blair n'a cessé, au cours de toutes ces années, de plaider que la bonne foi a guidé son action politique, Chilcot lui reproche d'avoir beaucoup trop été dans le registre de la foi, des convictions personnelles plutôt que d'un jugement basé sur des faits étayés, notamment, par les informations des services de renseignement.

Les conséquences ne devraient à priori pas être judiciaires. Pour des raisons juridiques, la Cour pénale internationale dont on a beaucoup parlé au Royaume-Uni se déclarerait incompétente. Et même devant la justice britannique, des suites judiciaires sont improbables.

La possibilité d'une procédure d'impeachment a été évoquée. L'ex-Premier ministre pourrait être condamné rétrospectivement, y compris avec une peine d'inégibillité. L'impact serait surtout moral puisque Tony Blair n'exerce plus de fonction officielle. Mais un procès et un vote au parlement seraient très lourds pour l'image de l'ancien dirigeant. L'actuel dirigeant du parti travailliste, Jeremy Corbin, qui avait -comme une minorité de députés travaillistes-, voté contre la guerre, en 2003, est aujourd'hui en difficulté, après le référendum sur le Brexit. Il va certainement se servir de cette affaire pour renforcer sa position au sein du parti, alors que la base et l'opinion restent très critiques de l'intervention de 2003 et réservée sur toute intervention militaire.

Des leçons seront-elles tirées de cette investigation ?

La leçon évidente est que le recours à la force est dangereux. D'aucuns tireront la conclusion, un peu simpliste, qu'il faut être pour ou contre la guerre par principe. La guerre d'Irak a déjà profondément bouleversé la perception des interventions extérieures. On en a vu l'application en 2013, lorsque la chambre des Communes s'est opposée à l'intervention militaire en Syrie après l'usage d'armes chimiques. Echaudés par la guerre d'Irak, les Etats-Unis comme le Royaume-Uni sont plus réticents qu'auparavant au recours à la force armée. Même s'il faut nuancer, en regardant par exemple l'implication militaire américaine en Irak, en Syrie, en Afghanistan et ailleurs, le paradoxe est presque qu'aujourd'hui, le pays le moins réticent avec l'option de l'intervention militaire est la France, qui avait pris position contre la guerre d'Irak en 2003.

Le rapport Chilcot montre surtout que l'usage de la force militaire est une décision lourde de conséquences, même lorsqu'elle est justifiée. Il souligne l'importance de disposer d'un renseignement fiable et autonome et d'en tenir compte. Il rappelle que les objectifs et la stratégie doivent être réévalués en permanence, et enfin qu'il est indispensable d'anticiper l'après-guerre. Il faudra savoir en tirer les leçons, y compris de ce côté de la Manche, où le succès des opérations récentes ne doit pas masquer le caractère centralisé au sein de l'exécutif de la prise de décision et le risque dont est porteur chaque intervention.

Publicité