"Il faut mettre pour le moment de côté la question de Bachar el-Assad", a plaidé récemment François Fillon. Combattre l'hydre djihadiste, doit être la priorité de l'Occident. Comme l'ancien Premier ministre, François Bayrou, a lui aussi appelé à revoir les relations de la France avec Damas. Pour les deux hommes, le "sort des chrétiens" et des minorités menacées par la barbarie djihadiste justifie ces prises de position. Marine Le Pen a jugé, elle, qu'une intervention occidentale contre l'organisation Etat islamique (EI) en Syrie devait être réalisée avec l'accord et l'aide de Bachar el-Assad.

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A l'étranger, des voix se lèvent aussi pour demander un changement de ligne face au régime syrien: "Parfois, vous devez établir des relations avec des gens extrêmement désagréables afin de vous débarrasser de gens sont encore plus mauvais", plaide l'ancien ministre britannique des Affaires étrangères, Malcom Rifkind. Outre-Atlantique Richard Haas, ancien haut responsable du département d'Etat sous George Bush, utilise le même argument: "Le gouvernement de Bachar el-Assad est peut-être le diable", mais, comparé à l'EI, "il est le moins diabolique" des deux. Lutter contre les djihadistes requiert, d'une manière ou d'une autre, une coopération avec le régime syrien, assurent également l'ex-ambassadeur Ryan Crocker ou le général Allen, émissaire spécial du président américain pour la coalition contre l'EI et ancien chef de l'alliance occidentale en Afghanistan. Chez les républicains, le prétendant à la Maison-Blanche Rand Paul, longtemps hostile aux interventions extérieures américaines, prône, lui, une alliance avec l'Iran et le régime syrien contre Daech, parce que ces deux pays ont les "mêmes objectifs" que les pays occidentaux, "en finir avec l'EI. Ils en ont aussi les moyens, la capacité, et la motivation" affirme le sénateur, "parce ce que Assad tient à son pouvoir et à sa vie. Est-ce si sûr?

Le régime syrien a-t-il la volonté de combattre l'EI?

Pendant de nombreux mois, l'armée syrienne s'est peu confrontée à l'EI. En particulier quand les djihadistes combattaient les groupes rebelles plus modérés. "Le régime était certainement satisfait de voir ses opposants affaiblis par d'autres", souligne Aron Lund, responsable du site du centre Carnegie consacré à la crise syrienne. Mais depuis que Daech exerce une pression militaire contre lui, le régime d'Assad a commencé à mener des attaques contre les régions tenues par l'EI, conscient aussi du bénéfice qu'il peut tirer d'un ralliement à la coalition en tant que 'partenaire contre la terreur'.

Lorsqu'elle frappe les djihadistes, l'armée syrienne ne fait pas dans le détail. Les victimes civiles sont au moins aussi nombreuses que les combattants, comme lors d'un raid sur Raqqa le 25 novembre.

A-t-il la capacité d'affronter avec succès l'EI?

Au-delà des considérations morales sur l'idée de soutenir un dictateur sanguinaire, la question se pose de l'efficacité du régime syrien dans le combat contre les djihadistes.

"S'il y avait des raisons de penser que plus de torture en prison, de bombardements visant les civils, de blocus débouchant sur la famine, de milices, et de pillages des ressources nationales par une élite kleptomane pouvait aider à résorber le phénomène de la radicalisation, alors oui, le régime serait bien la solution", assène Peter Harling, spécialiste de la Syrie au sein de l'International Crisis Group.

Joshua Landis, directeur du Centre for Middle East Studies, autre spécialiste de la Syrie, estime, lui, que l'armée syrienne combat avec succès le groupe djihadiste sur plusieurs fronts. "Elle a repoussé tous les assauts de l'EI contre la base militaire de Deir Ezzor la semaine passée, infligeant de lourdes pertes à l'adversaire." "Les forces armées syriennes ont tué plus de combattants de l'EI que les Etats-Unis", soutient-il.

Mais freiner les assauts djihadistes ne signifie pas remporter la guerre. Loin de là. "En seulement six mois d'opérations contre le régime, l'EI a complètement battu les forces gouvernementales à Raqqa et presque entièrement à Deir Ezzor", constate de son côté Charles Lister, chercheur au Brookings Doha Center, auteur d'une étude sur le groupe djihadiste.

Certes, le gouvernement syrien, aidé par des milices et appuyé par des groupes armés chiites étrangers, dont le Hezbollah libanais, "constitue la force militaire la plus conséquente du pays, explique Aron Lund. Il dispose de moyens militaires et de ressources sans équivalent pour frapper l'EI. Mais le régime baasiste concentre actuellement ses efforts à contenir la rébellion et préserver les régions sous son contrôle. Il n'est pas certain qu'il ait les moyens de mener ces deux combats en même temps".

Obstacle majeur: la perte de légitimité du régime baasiste dans les régions sunnites

Reprendre durablement le contrôle des régions à majorité sunnite de Syrie est pratiquement impossible pour le régime baasiste dominé par le clan alaouite de Bachar el-Assad, estiment les spécialistes de la région: "Il souffre d'un manque de légitimité dans les zones sunnites aux mains de l'EI, et il est détesté par le reste des insurgés et de l'opposition", souligne Aron Lund. "La plupart des rebelles sunnites jugent le régime baasiste encore moins acceptable que l'EI, qui lui, prétend au moins défendre les sunnites", complète le chercheur.

Les Occidentaux doivent-ils s'associer au régime syrien pour combattre Daech?

"Les formes les plus extrêmes de contre-insurrection peuvent marcher et nous convenir, comme en Algérie (pendant la "sale guerre"). Même si, le pays, sous perfusion pétrolière depuis vingt ans, ne s'en est toujours pas remis", observe Peter Harling.

Pour être admis comme partenaire, "la condition minimale devrait être que le régime accepte de restaurer des liens avec la majorité sunnite de son pays [quelque 70% de la population syrienne, ndlr]. Il a montré qu'il en était incapable", constate Julien Barnes-Dacey du Conseil européen pour les Affaires étrangères (ECFR). Assad a systématiquement écarté tous les membres de son entourage qui émettaient la moindre velléité d'ouverture.

A court terme, "s'allier au régime d'Assad aggraverait plus encore le scepticisme des rebelles syriens vis-à-vis de l'Occident et jetterait nombre d'entre eux dans les bras de l'EI", redoute Aron Lund. Ce qui annihilerait un quelconque avantage militaire de coopération avec le régime.

A moyen terme, collaborer avec le régime baasiste "ruinerait durablement l'image de l'Occident au Moyen-Orient et à long terme la sécurité des intérêts de l'Ouest à l'échelle internationale", assure Charles Lister. Depuis près de quatre ans, "ce régime a prouvé sa détermination à résister à la volonté d'une grande partie de sa population. Le militantisme djihadiste a su tirer profit de ce conflit, mais, de façon encore partielle, à ce stade", précise le chercheur. Nombre de combattants de l'opposition sur le terrain "soupçonnent déjà l'Occident de chercher à s'aligner sur Assad et l'Iran, ajoute encore Charles Lister. Si l'Occident se retourne définitivement vers le régime syrien, et donc contre la révolution syrienne, nul doute que les djihadistes et autres groupes extrémistes bénéficieront rapidement de la défection des rebelles, dont beaucoup feraient du monde occidental une cible de vengeance légitime".

Enfin, conclut Peter Harling, "étant donné l'ampleur de la radicalisation dans la région, l'étendue des destructions, la faillite du régime et la question des enjeux stratégiques régionaux, une solution plus ambitieuse est nécessaire en Syrie, qui exige un modus vivendi entre l'Iran et son voisinage arabe."


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