Longtemps invisibles dans le paysage politique de leur pays, les représentants des Arabes israéliens constituent l'une des surprises des élections législatives qui se tiennent ce mardi. Les Arabes israéliens, descendants des Palestiniens restés sur leur terre après la création d'Israël en 1948 représentent pourtant 20% de la population du pays.

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Une union forcée par leurs opposants

Avigdor Lieberman n'avait sans doute pas imaginé, lorsque son parti d'extrême droite Israel Beitenou a proposé un changement de la loi électorale, qu'elle aboutirait au résultat inverse de ses espérances. En faisant relever de 2% à 3,25% le seuil d'éligibilité, la loi adoptée à son initiative en 2014 aurait pu faire disparaitre les petits partis arabes du Parlement. Ils occupaient pourtant 12 sièges des 120 sièges de la Knesset sortante.

En créant la "Liste commune" (Joint list), le parti judéo-arabe Hadash et trois partis arabes ont décidé de mettre de côté leurs divergences politiques et religieuses le temps de la campagne. Les sondages leur prédisent de 12 à 13 députés. Eux en espèrent 15.

La loi sur le seuil d'élégibilité s'ajoute à une série de mesures législatives introduites notamment par le parti du chef de la diplomatie, l'homme qui veut "décapiter les Arabes israéliens" soupçonnés de ne pas être loyaux envers leur patrie. "Cette loi ainsi que toutes les discussions autour du renforcement du caractère 'juif' de l'Etat d'Israël ont pour but d'éliminer toute représentation de cette partie de la population", explique à L'Express Hugh Lovatt, spécialiste du dossier israélo-palestinien au bureau londonien du Conseil européen pour les relations internationales (ECFR).

Qui sont les membres de la Liste commune?

Hadash, parti judéo-arabe fondé en 1977 a été formé autour de l'ex-parti communiste. Son dirigeant Ayman Odeh, a pris la tête de la Liste commune. Hadash compte parmi ses candidats, le seul juif en position éligible de cette liste d'union, Dov Khenin. Dov Khenin est l'un des quatre députés sortants de son parti.

Ta'al, le "Mouvement arabe pour le Renouveau", est un parti laïc dirigé par Ahmed Tibi, "l'une des personnalités politiques arabes les plus populaires, selon Hugh Lovatt. Cet ancien conseiller d'Arafat, pragmatique, se définit comme "de nationalité palestinienne et de citoyenneté israélienne". Ahmed Tibi s'est rendu célèbre en 2010 dans l'Etat hébreu par un discours sur l'holocauste, salué à l'époque par le président de la Knesset, Reuven Rivlin, aujourd'hui président israélien. Ta'al s'est associé en 2006 avec les islamistes sous le nom de Ra'am-Ta'al. Leur liste commune comptait 4 députés (Ahmed Tibi et trois députés de Ra'am).

Balad, parti nationaliste est favorable à un Etat binational. La "Ligue démocratique nationale", entend "lutter pour transformer l'État d'Israël en démocratie pour tous ses citoyens, quelle que soit leur nationalité ou leur origine ethnique". Fondé par l'intellectuel Azmi Bishara, c'est le parti d'Hanin Zoabi, connue pour ses diatribes enflammées, que plusieurs députés de la Knesset ont voulu interdire d'élection en janvier dernier.

Le Mouvement Islamique (Ra'am) se situe dans la mouvance des Frères musulmans. Allié à Ta'al, dans la Knesset sortante, il y comptait trois députés. Sa base électorale est principalement celle des Bédouins.

La Liste commune pourrait, paradoxalement mordre sur le parti de gauche Meretz, qui, doté de 6 sièges dans le parlement sortant, risque, selon certains sondages, ne pas franchir le seuil des 3,5% des voix et d'être éliminé du Parlement. "Recentré, à l'instar de la plupart des partis de gauche du monde occidental, le Meretz a souffert d'un positionnement frileux au moment de la guerre de Gaza, explique Hugh Lovatt. Il donne l'impression de manquer de vision pour l'avenir".

Que veulent-ils?

Se basant sur les résolutions de l'ONU, la Liste réclame une véritable égalité entre citoyens juifs et arabes en Israël, la fin de l'occupation, le démantèlement des colonies israéliennes en Cisjordanie, ainsi que la reconnaissance d'un État palestinien dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-est pour capitale.

Vers une hausse du taux de participation des Arabes israéliens?

Le taux de participation des Palestiniens israéliens est traditionnellement plus faible (56% aux dernières législatives, en 2013) que celui de l'ensemble de la population. La Liste commune pourrait changer la donne. Une étude publiée par le politologue Aasi Atrash, de l'institut Yaffa, suggère une participation de 66%. Un signe montre la surprise inattendue pour une partie de cet électorat: le rappeur Tamar Nafar, très apprécié des jeunes Palestiniens, en particulier en Israël, a appelé, dans un clip, où il reconnaît ne jamais avoir voté, à se mobiliser pour la Liste d'union.

Autre surprise, le soutien apporté à cette liste par l'ancien président du parlement Avraham Burg: "La ligne politique que développe son chef de file, Ayman Odeh, est très intéressante. Il ne dit pas : ' Nous sommes une liste arabe' il dit: ' Nous sommes la seule liste démocratique de ce pays' , confie Avraham Burg à Orient XXI.

La liste commune pourrait-elle participer à une coalition?

Aucun parti arabe n'a jamais participé à une coalition gouvernementale depuis la création, en 1948, de l'Etat d'Israël. Une alliance post-électorale avec la liste sioniste d'Isaac Herzog et Tzipi Livni semble très improbable, de part et d'autre. "La montée de la rhétorique anti-arabe, ces dernières années, a fait de cette partie de la population des parias", assure Hugh Lovatt. Isaac Herzog s'est bien gardé d'évoquer une collaboration avec ces partis, afin d'éviter de prêter le flanc aux accusations de la droite qui dénonce déjà l'Union sioniste comme le "parti de l'étranger". Le droitisation générale de la vie politique israélienne conduit à une surenchère anti-palestinienne comme vient de le montrer, lundi, Benyamin Netanyahu avec sa promesse qu'il n'y aurait pas d'Etat palestinien s'il était réélu.

Les partis arabes ne sont pas non plus favorables à leur participation à un gouvernement aux côtés de la liste sioniste. Difficile pour eux de s'associer à un cabinet qui mettrait en oeuvre des décisions défavorables aux Palestiniens, qui poursuivrait la politique de colonisation ou déclarerait la guerre à Gaza. Ils n'oublient pas que la colonisation, obstacle majeur à la solution à deux Etats, s'est aussi poursuivie sous les mandats travaillistes. Seule possibilité, pour Hugh Lovatt, "un soutien extérieur occasionnel sur tel ou tel sujet, comme les partis arabes l'on fait du temps de l'ancien Premier ministre Itzhak Rabin".

En cas de formation d'une coalition sioniste-Likoud, la liste commune arabe pourrait devenir le principal parti d'opposition. Elle accèderait alors à la présidence de commissions parlementaires, tandis qu'à chaque décision cruciale, le chef de la majorité serait obligé, en vertu de la loi de présenter son projet au chef de l'opposition. Une sacrée revanche pour les "invisibles".


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