"Je regarde deux États et un État, et si Israël et les Palestiniens sont contents, je suis content avec la solution qu'ils préfèrent. Les deux me conviennent". Ces mots prononcés par le nouveau président américain devant son hôte, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu, aux anges, bouleversent la position diplomatique américaine, en vigueur depuis plusieurs années. Mais qu'est ce que cela change concrètement?

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La solution à deux États, qu'est-ce que c'est?

La solution "à deux Etats" propose la création de deux États distincts en Palestine, l'un arabe et l'autre juif, "vivant côte à côte, en paix et en sécurité". Adossée aux accords d'Oslo de 1993, elle fait consensus depuis l'initiative arabe de paix de 2002. Celle-ci proposait la création d'un Etat palestinien en échange d'une reconnaissance d'Israël par les Pays arabes.

La solution à deux Etats est considérée par la communauté internationale comme indispensable à la paix et à la sécurité dans la région. "Pour les Européens, souligne Denis Bauchard, ancien diplomate, conseiller pour le Moyen-Orient à l'Institut français des relations internationales (IFRI), elle est déjà en germe dans la déclaration de 1980 sur l'autodétermination du peuple palestinien". Elle est endossée par George W. Bush en juin 2002. Son principe a été réitéré en décembre dernier par une résolution de l'ONU. Benyamin Netanyahu lui-même avait admis l'idée d'un Etat palestinien coexistant avec Israël en 2009, mais "sous pression et du bout des lèvres", précise Denis Bauchard.

Donald Trump parle-t-il en connaissance de cause?

La formulation hasardeuse de Donald Trump laisse supposer qu'il ne maîtrise pas la question. "Sa méconnaissance de la dynamique régionale a permis à Netanyahu d'imposer sa vision de la situation au président américain", estime Hugh Lovatt, chargé de recherche sur le Proche Orient au Conseil européen des relations internationales (ECFR). Quand il évoque ce que veulent les deux parties, Trump met sur un pied d'égalité deux acteurs qui ne le sont pas: Israël, Etat souverain et puissance militaire, face à une population sous occupation.

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Mais aussi maladroit soit-il, "le langage de Donald Trump a été calibré par son équipe", assure Denis Bauchard. La nouvelle administration a annoncé, la veille du discours, qu'elle n'était plus arc-boutée sur la solution à deux Etats. Le changement de ton est également perceptible sur la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, illégale pour le droit international: Trump se contente d'appeler l'Etat hébreu à "la retenue". "L'équivalent d'un feu vert", juge Denis Bauchard.

La solution à deux États était-elle encore viable?

La viabilité d'un futur Etat palestinien était déjà considérée comme de plus en plus improbable avant cette annonce, en raison de la poursuite de la colonisation. Avec 430 000 colons en Cisjordanie et plus de 200 000 à Jérusalem-Est, une telle entité ressemblerait à un véritable gruyère.

"Ni l'Europe, ni les Etats-Unis n'ont agi pour qu'Israël y mette fin", souligne Denis Bauchard. La dernière fois qu'une telle pression a été exercée remonte à 1992: au lendemain de la première guerre d'Irak, George H. W. Bush voulait donner des gages aux Pays arabes qui l'avaient soutenu contre Saddam Hussein. Washington avait lié l'octroi de garanties bancaires pour un prêt de 10 milliards de dollars à Israël à l'arrêt de la colonisation. Tel Aviv avait cédé. Plus récemment, l'UE a bien tenté d'infléchir la politique de l'Etat hébreu via l'étiquetage des produits des colonies. Mais l'effet en a été dérisoire: certains pays ne mettent pas en oeuvre les mesures décidées, ou elles ne sont pas contrôlées.

L'abandon de la solution à deux États. Quelles conséquences?

L'idée d'un Etat binational où Palestiniens et Israéliens seraient égaux en droit est ancienne mais elle est ultra-minoritaire dans la région. La réalité démographique d'une telle construction poserait un dilemme à Tel Aviv: soit préserver le caractère juif de l'Etat d'Israël, en refusant des droits égaux aux Palestiniens, ce qui équivaudrait à l'instauration d'un apartheid; soit faire le choix d'un Etat démocratique et renoncer à un Etat juif.

"Dans le fond, observe Hugh Lovatt, Netanyahu n'aspire pas plus d'une solution à un Etat qu'à deux Etats. Ce qu'il veut, c'est zéro Etat palestinien, le maintien du statut quo actuel, avec la poursuite de la colonisation et l'annexion progressive de la Cisjordanie". Ne resteraient que des enclaves autogérées (Naplouse, Hébron, Ramallah), des sortes de bantoustans. "En plus petits", précise Denis Bauchard.

Le changement de ligne de la Maison Blanche risque aussi d'affaiblir la position du dirigeant palestinien Mahmoud Abbas. "L'existence de l'Autorité palestinienne, dans le cadre des accords d'Oslo, est justifiée par l'objectif d'un Etat palestinien, poursuit Hugh Lovatt. Ce mirage évanoui, ne reste plus qu'une entité qui collabore, au plan sécuritaire notamment, avec l'occupant israélien". De quoi ruiner un peu plus l'image du leadership palestinien aux yeux de la population de Cisjordanie et de Jérusalem-Est. A en croire la correspondante dans les territoires occupés du quotidien Haaretz, la CIA aurait assuré Mahmoud Abbas de son soutien, consciente de la menace que ferait peser un effondrement de l'Autorité palestinienne. Un sursis pour le statu quo.

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