Les tentatives de la Russie d'appuyer sur les points de fragilité de l'Europe ont été largement commentées ces derniers mois. Celles de la Chine beaucoup moins. L'investissement de Pékin sur le continent européen progresse pourtant de façon bien plus spectaculaire. En 2016, la Chine a dépensé 75 milliards d'euros en acquisitions, selon le magazine en ligne Politico, soit autant que lors des dix années précédentes.

Publicité

L'empire du Milieu a en partie misé sur les pays d'Europe de l'Est et du Sud, ainsi que les Balkans. Durement touchés par la crise de 2008, et maltraités par Bruxelles, la Grèce, surtout, mais aussi le Portugal et l'Espagne, ont accueilli à bras ouverts les deniers chinois.

"La Chine cherche à faire avancer sa vision et ses standards"

Plusieurs études récentes s'inquiètent d'une possible influence que s'offre ainsi la Chine dans les affaires européennes, et de son intérêt bien compris à affaiblir le projet d'intégration des 27: "sur des sujets allant de l'arbitrage commercial aux normes de télécommunications, en passant par les partenariats public-privé, la Chine cherche à faire avancer sa vision et ses standards", estime le Conseil européen des relations internationales (ECFR), dans un rapport publié en décembre dernier, La Chine aux portes de l'Europe. Pour Pékin, ajoutent les auteurs, François Godement et Abigaël Vasselier, les règles et les normes de l'UE ne sont qu'un "obstacle temporaire, qui tombera de lui-même lorsque le processus de fragmentation européenne aura achevé son cours".

Pékin avance souvent masqué, ajoute le document: entre 2000 et 2014, 70% des investissements sont réalisés via des sociétés basées à Hong Kong ou dans les îles britanniques des Caraïbes.

Les grands pays européens retiennent eux aussi l'intérêt de Pékin, que ce soit en termes d'investissements ou pour garder leur accès au marché chinois: en 2016, les deux pays où Pékin a le plus investi sont l'Allemagne et le Royaume-Uni.

Reste que les pays qui dépendent le plus de la manne chinoise sont les plus susceptibles d'éviter de fâcher Pékin, sur la question des droits de l'Homme, des relations avec Taïwan, ou de l'accueil du Dalaï-lama par exemple. Ces pays sont ceux qui sont en périphérie de l'Europe.

Petites interférences en faveur de Pékin

Après la prise de contrôle du port du Pirée en 2016 par l'armateur chinois Cosco, par exemple, Athènes a mis son veto, en juin 2017, à une résolution de l'UE à l'ONU condamnant les atteintes aux droits humains dans ce pays, une première.

En 2015, rappelle un autre article de Politico, Athènes, Budapest, Zagreb et Dubrovnik ont fait le forcing pour éviter une référence directe à Pékin dans une déclaration de l'UE sur une décision de justice invalidant ses revendications juridiques sur la Mer de Chine méridionale.

Dans le domaine financier, plusieurs Etats dont la Grèce, le Portugal et la République tchèque se sont opposés à la proposition portée par la France, l'Allemagne et l'Italie de mettre en place un mécanisme de contrôle des investissements dans les secteurs stratégiques au sein de l'UE, en juin 2017. Les récalcitrants craignaient d'envoyer "un mauvais message" aux investisseurs tant convoités.

Milos Zeman, le meilleur allié de Xi Jinping

Avant 2014, la République tchèque était l'un des pays les plus sévères envers la Chine, rappelle un rapport publié il y a quelques jours par deux think tanks allemands, le GPPI (Global Public Policy Institute) et le Merics (Mercator Institute for China Studies) intitulé La Poussée autoritaire: comment répondre à l'influence politique croissante de la Chine en Europe. Les choses ont changé après l'arrivée au pouvoir du président eurosceptique Milos Zeman, en 2013. Un partenariat stratégique a été signé avec la Chine et des milliards d'euros d'investissements promis, lors d'une visite du dirigeant chinois Xi Jinping, en mars 2016 à Prague. À cette occasion Zeman a souligné que "les mauvaises relations [de son pays] avec la Chine étaient le résultat de l'attitude soumise du précédent gouvernement envers les États-Unis et l'UE".

Plus récemment, un vice-Premier ministre et deux ministres tchèques ont été fermement réprimandés pour avoir reçu le Dalaï-lama à Prague. Auparavant, Zeman a nommé le patron d'une société pétrolière chinoise, Ye Jiaming, comme conseiller économique pour les affaires chinoises. À ce titre, craint le rapport du Merics, il pourra avoir accès à des documents confidentiels de l'UE ayant trait aux relations entre l'empire du Milieu et le continent.

Pour faciliter les contacts avec les pays d'Europe centrale, un format de rencontre a été créé en 2011: le Forum commercial et économique entre la Chine et les pays d'Europe centrale et orientale, surnommé le 16+1. Onze des ces États sont membres de l'UE (Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lituanie, Lettonie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie); cinq sont candidats à l'entrée dans l'UE (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine, Monténégro et Serbie).

Les petits de l'UE dénoncent l'hypocrisie des grands

L'Allemagne pointe aussi du doigt le Portugal comme exemple des pays de l'UE à même de bloquer les législations qui déplairaient à la Chine. Le pays a bénéficié de 5,7 milliards d'euros d'investissements entre 2000 et 2016, dans des secteurs stratégiques comme la santé, l'énergie et la banque, note Politico. Une mise a l'index qui agace à Lisbonne: pour le Portugal, c'est Berlin qui a refusé, pendant la crise, les transferts fiscaux au sein de l'UE et jeté ainsi les plus pauvres des 28 dans les bras des investisseurs chinois.

Soulignant la fragilité des pays d'Europe de l'Est vis-à-vis des attentes de Pékin, le rapport du Merics et celui de l'ECFR admettent d'ailleurs que les grands pays ne sont pas épargnés par cette quête d'influence. La Chine a les faveurs de nombreuses personnalités politiques de l'Europe de l'Ouest... aux affinités politiques diverses: l'ancien Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin, ardent défenseur des relations franco-chinoises, son homologue britannique David Cameron, qui a pris la tête d'un fonds sino-britannique destiné à soutenir la nouvelle route de la soie, corridor économique entre l'Asie et l'Europe. Ou le populiste flamand Bart de Wever, grand admirateur de "l'efficacité chinoise" qu'il oppose aux "revirements paniqués de certains eurocrates de Bruxelles". Il est rejoint sur ce terrain par le dirigeant hongrois Viktor Orban, qui se plaît à expliquer à ses hôtes chinois que l'Europe n'a pas à imposer ses valeurs universelles au reste du monde.

Publicité