Un oubli? Pour la première fois, l'Iran était absent du chapitre consacré aux menaces terroristes dans un rapport annuel remis en février au Sénat américain par le directeur du Renseignement national, James Clapper. Loin d'être un raté, cette omission est perçue par beaucoup comme l'un des multiples signes d'une amorce de détente entre les deux anciens ennemis, dans la perspective de la date butoir du 31 mars pour sceller un accord politique sur le nucléaire iranien.

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Après 18 mois de pourparlers, l'Iran et le groupe 5+1 (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne) se sont donnés jusqu'à cette date pour conclure ce règlement. En échange d'une levée des sanctions, il garantirait que la République islamique n'aura jamais la bombe atomique.

L'occasion manquée de l'ère Khatami

Un tel accord marquerait un virage dans les relations entre Téhéran et Washington, après 36 ans de rupture, née de la révolution iranienne. La prise d'otages à l'ambassade des Etats-Unis, en 1979 et le soutien de Washington à la guerre déclenchée par Saddam Hussein en 1980 sont à l'origine de cette guerre froide. "Le manque de confiance remonte même plus loin, rappelle Azadeh Kian, professeure à Paris VII-Diderot: les Iraniens n'ont pas oublié le coup d'état orchestré par la CIA en 1953 contre le Premier ministre Mossadegh, artisan de la nationalisation du pétrole."

De timides tentatives de dégel avaient été esquissées lors du mandat du président modéré Mohammad Khatami (1997-2005). En 2000, la secrétaire d'Etat américaine Madeleine Albright, avait admis le " rôle significatif" joué par Washington dans le renversement de Mossadegh. Les perspectives d'un règlement de la question nucléaire avaient alors échoué, les Occidentaux exigeant de l'Iran l'abandon total de son programme nucléaire, y compris de l'enrichissement permis par le traité de non-prolifération. Un échec à l'origine de l'élection de l'ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad.

La nouvelle donne Obama

L'arrivée de Barack Obama au pouvoir en 2009 puis celle de Hassan Rohani en 2013 ont permis le retour des gestes de détente. Côté américain, George Bush, obnubilé par le renversement de la République islamique, pivot, selon lui, de "l'axe du mal", adressait son message annuel de voeux pour Norouz, le nouvel an persan, "au peuple iranien". A peine installé au Bureau ovale, Obama a, lui, adressé ses voeux, "au peuple et aux dirigeants de la République islamique".

Ce tournant diplomatique était sans doute dicté par le constat d'échec du containment américain de l'Iran. Les années de mise au ban de Téhéran ne l'ont nullement empêché de progresser dans sa course au nucléaire. Et les tragiques errements de l'administration Bush au Proche-Orient, au lieu d'affaiblir le régime des mollahs, a au contraire accru son influence dans la région, comme le soulignait il y peu avec finesse le satiriste américain Jon Stewart.

Missives et messager

Plus récemment, le président américain aurait adressé, en novembre dernier, puis en février, selon le Wall Street Journal de discrètes missives au Guide de la révolution iranienne, l'Ayatollah Khamenei, arbitre de toute décision à Téhéran. Enfin, l'allusion faite par John Kerry, le 15 mars, à la nécessité de négocier, avec Bachar el-Assad en Syrie, a été interprété comme un signe de bonne volonté vis-à-vis du mentor du régime syrien, à la veille d'une rencontre avec son homologue Mohammad Zarif et à quelques jours de la date butoir du 31 mars.

Côté iranien, "la volonté des autorités de restaurer les relations avec les Etats-Unis s'est illustrée par le choix du ministre des Affaires étrangères par Hassan Rohani en 2013, assure Azadeh Kian. Zarif a passé une partie de sa jeunesse aux Etats-Unis. Il connait parfaitement la culture américaine et a tissé des liens avec des journalistes et des décideurs de ce pays". Le chef de la diplomatie iranienne se distingue ainsi d'une classe politique coupée, pendant plus de trois décennies de tension, de toute relation avec le "Grand Satan".

"Depuis 18 mois, John Kerry et Mohammad Javad Zarif se rencontrent régulièrement, en public, sans intermédiaire européen" souligne Ellie Geranmayeh, spécialiste de l'Iran au Conseil européen des relations étrangères (ECFR). Kerry a même présenté ses condoléances au frère du président Rohani à Lausanne. "Cela aurait été impensable sous l'ancien président Ahmadinejad. Ces multiples rounds de négociations ont créé un climat plus propice la normalisation des relations américano-iraniennes."

Daech, l'ennemi fédérateur

La montée en puissance du groupe Etat islamique est l'autre point de rencontre entre les anciens ennemis. Dans la lutte contre Daech en Irak, "la stratégie américaine ne fonctionne qu'en tenant compte, implicitement, du fait que l'Iran assumera l'essentiel de l'effort et dirigera les combats sur le terrain", observe Vali Nasr, un ancien conseiller d'Obama, interrogé par le New York Times. Même si officiellement les deux pays ne collaborent pas militairement. "Les Etats-Unis fournissent un appui aérien et l'Iran organise les milices chiites combattant aux côtés des forces kurdes", constate Ellie Geranmayeh.

Les Gardiens de la révolution iraniens qui pilotent les combats en Irak auraient intimé aux milices chiites -longtemps en guerre contre l'armée américaine- de ne pas s'en prendre au personnel militaire engagé dans le combat contre Daech, selon des écoutes rapportées par le Wall Street Journal. En face, ajoute le quotidien, les Etats-Unis ont choisi de réduire l'ampleur des manoeuvres militaires annuelles de la cinquième flotte américaine dans le Golfe persique.

L'enjeu commercial

Le dégel se traduit aussi sur le terrain commercial, en dépit du lourd régime de sanctions frappant l'Iran. Dans la perspective d'un accord, General Motors s'est offert des pleines pages de publicité dans les journaux iraniens sous le slogan "We are back". Plusieurs entreprises américaines dont Boeing et Caterpillar sont à la manoeuvre pour préparer leur retour, notamment via leurs filiales dans les pays de la région. Au point que les industriels français voient dans les obstacles mis par Washington à la levée des sanctions une façon de faire table rase des relations commerciales entre les industriels européens et l'Iran, pour mieux s'y engouffrer.

De multiples obstacles

Si un certain nombre de décideurs plaident à Washington pour restaurer des relations avec l'Iran, au moins sur le modèle du rapprochement avec la Chine du temps du président Nixon, en 1972, les obstacles restent nombreux. Le camp républicain fait son possible pour entraver les négociations. Et, en soutenant, au Yémen, l'intervention des pays du Golfe contre les houthis soutenus par l'Iran, la Maison Blanche manifeste sa volonté de contenir ce qui est perçu, dans la région, comme une expansion de la zone d'influence iranienne.

Sur la question nucléaire, dans les deux pays, "les opposants à un accord estiment qu'il serait contraire à l'intérêt national", observe Ellie Geranmayeh. "Ils veulent également éviter que leurs présidents respectifs ne recueillent les bénéfices d'un succès diplomatique", complète Azadeh Kian. En Iran, les manoeuvres de l'appareil judiciaire, aux mains des conservateurs, visent à saper les tentatives d'ouverture du président Rohani. Le cas du journaliste irano-américain Jason Rezaian, emprisonné depuis huit mois, en est l'emblème. Mais "puisque le Guide s'est prononcé en faveur des négociations, les faucons iraniens sont moins à même de faire dérailler les pourparlers que les faucons américains, estime Ellie Geranmayeh, compte tenu des pouvoirs constitutionnels du Congrès qui lui permettent d'imposer de nouvelles sanctions à l'Iran.

Un accord, avant le 31 mars, "réduirait les tensions, mais ne révolutionnerait pas les relations entre l'Iran et les Etats-Unis", assure de son côté Ali Vaez, expert de l'International Crisis Group Interrogé par le Christian Science Monitor. "Au mieux, on reviendra à l'hostilité contrôlée, en vigueur au début des années 2000. Avec une différence notable: les deux pays peuvent désormais se parler."

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