La résolution a été soumise par l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, mais la Chine et la Russie ont voté contre.

Téhéran ne serait donc qu'à quelques mois de la capacité à produire sa première bombe atomique.

afp.com/ATTA KENARE

A Washington, le ton a changé. Plus question de "pression maximale", comme au temps de l'administration Trump. La porte du dialogue avec Téhéran s'ouvre à nouveau. Avec des hauts et des bas. Interrogé lundi 8 février sur la question iranienne, le nouveau président américain Joe Biden a clairement signifié qu'il n'y aurait pas de levée de sanctions, tant que l'Iran ne renoncerait pas à l'enrichissement de l'uranium à 20%. Or à Téhéran, on est loin du compte. L'Iran assure avoir déjà produit 17 kg d'uranium enrichi à 20 % au cours du mois de janvier. L'objectif, selon les autorités, est d'en produire 500 grammes par jour.

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Comme le précise Behrouz Bayat, ancien consultant de l'Agence internationale de l'énergie atomique, "l'uranium, à l'état naturel, est composé à seulement 0,7 % d'uranium 235, et c'est ce type d'uranium qui permet une réaction de fission nucléaire". Il faudra donc l'enrichir pour qu'il devienne combustible, par exemple, dans une centrale nucléaire, ou pour qu'il produise l'énergie d'une bombe atomique. "L'uranium à usage militaire doit être enrichi à 90 %. Alors qu'atteindre la barre de 20 % est le plus fastidieux, il est bien plus facile et rapide de l'enrichir de 20 % à 90 %."

À ce rythme, Téhéran ne serait donc qu'à quelques mois de la capacité à produire sa première bombe atomique. Le Guide suprême Ali Khamenei avait appelé le 7 février les Etats-Unis à lever toutes les sanctions, comme préalable à la reprise du dialogue.

Aux origines des tensions, la guerre contre l'Irak

Le programme nucléaire n'est qu'un symptôme d'un conflit plus enraciné. Un conflit idéologique où l'indépendance nucléaire symbolise pour Téhéran à la fois la résistance du régime face à "l'ordre établi par l'Ouest", et la peur du "complot américano-sioniste" visant à le renverser.

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Depuis que ce programme a été révélé à l'été 2002, les autorités de Téhéran ne cessent de répéter que "l'énergie nucléaire est notre droit inaliénable". L'Iran est signataire du traité sur la non-prolifération nucléaire (TNP) depuis 1970, et s'est engagé à ne pas se procurer d'armes nucléaires et à se soumettre aux contrôles de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Mais depuis les années 90 la République islamique a néanmoins tenté de camoufler certaines de ses activités nucléaires. Ce qui a motivé l'Iran à se lancer dans cette quête effrénée ? La peur du conflit.

Deux événements façonnent l'imaginaire des militaires iraniens : huit ans de guerre contre l'Irak de Saddam Hussein (1980-1988), et l'humiliante défaite de celui-ci dans la première guerre du Golfe (1990-1991). "Le premier a considérablement affaibli la force dissuasive conventionnelle de l'Iran, rappelle Abdolrasoul Divsallar, codirecteur de l'Initiative de Sécurité Régionale au département Moyen-Orient du Centre Robert Schuman, le deuxième marque un tournant. Les militaires iraniens ont été surpris par la conduite de cette guerre et ont cherché à comprendre, en menant des centaines d'études, les modèles militaires et les techniques utilisées par les Américains et leurs alliés."

Le nucléaire comme monnaie d'échange

Leur conclusion est sans équivoque : face au "Grand Satan", une seule défense est possible, celle de la force non-conventionnelle, dont le nucléaire. "En 2003, lorsque l'Iran s'apprête à négocier son programme nucléaire avec les Européens, les militaires maîtrisent déjà les techniques de la guerre asymétrique, savent comment utiliser la géographie du pays et celle de la région pour défendre et contre-attaquer, tout en explorant un programme de défense balistique. Donc en 2003, l'Etat, confiant dans cette 'profondeur stratégique', décide de mener une politique dite de 'nucléaire hedging'. Ce qui consiste à dire 'oui, on peut fabriquer une bombe, mais on ne le fait pas'."

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Ainsi, le nucléaire devient la monnaie d'échange, et la bombe potentielle une arme de dissuasion en soi. À chaque fois que la pression augmente, Téhéran menace d'atteindre le fameux "breakout time", le temps nécessaire pour produire assez d'uranium enrichi permettant de fabriquer une arme atomique.

L'accord de Vienne avait justement pour but d'empêcher Téhéran d'atteindre ce seuil de non-retour. Conclu en 2015 entre l'Iran et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies - Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Russie - et l'Allemagne, ce traité prévoyait la levée des sanctions économiques en échange d'une série de restrictions et de contrôles sur le programme nucléaire iranien.

Restaurer une confiance mutuelle

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Or, la décision de Donald Trump, en mai 2018, de retirer les Etats-Unis de l'accord et d'imposer des sanctions sans précédent contre le régime, attise de nouveau les tensions. En représailles, l'Iran se désengage de ses obligations, au fur et à mesure que la "pression maximale" asphyxie son économie et met en évidence ses failles sécuritaires, à l'instar de l'assassinat du général Soleimani à Bagdad et celui du physicien Fakhrizadeh à Téhéran.

Le temps presse et l'Iran exige la levée de toutes les sanctions, mais la tâche est ardue : "Lever les sanctions mises en places contre près de 1700 entités et individus prendra du temps, rappelle Ali Vaez, directeur du programme Iran à l'International Crisis Group, en revanche, certaines mesures sont rapidement envisageables, comme accélérer l'approbation d'un prêt de 5 milliards de dollars que l'Iran avait déposé auprès du FMI et que l'administration précédente avait bloqué".

Les Américains souhaitent élargir les futures négociations au programme balistique iranien et à sa politique régionale. Or pour Ellie Geranmayeh, spécialiste de l'Iran au centre de recherches du Conseil européen des relations internationales, avant de discuter des enjeux géopolitiques avec l'Iran, il faudra restaurer une certaine confiance mutuelle : "Les États-Unis et les Européens doivent reconnaître que le programme balistique iranien fait partie de son noyau dur de sécurité et que l'Iran est peu susceptible de faire des concessions importantes sur ce front, d'autant plus qu'Israël possède l'arme nucléaire et que les États du Golfe sont hautement équipés par les armes occidentales."

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