Hassan Rohani, président de l'Iran, lors du conseil des ministres à Téhéran, le 24 octobre 2018.

Hassan Rohani, président de l'Iran, lors du conseil des ministres à Téhéran, le 24 octobre 2018.

afp.com/Handout

A partir de ce lundi 5 novembre, une nouvelle vague de sanctions américaines frappe les exportations de pétrole iraniennes et les opérations bancaires avec ce pays, le privant d'un accès aux circuits financiers internationaux. Sous la pression des initiatives unilatérales des Etats-Unis, l'Europe tente de continuer à commercer avec Téhéran et de sauver l'accord sur le nucléaire de 2015, dont l'administration Trump s'est retirée au printemps dernier. Ellie Geranmayeh, spécialiste de la diplomatie iranienne au Conseil européen des relations internationales, un centre d'analyse et de réflexion, éclaire les enjeux du dossier.

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De grands groupes européens se sont retirés d'Iran : Total, Peugeot, Airbus... Où en sont les relations commerciales ?

La plupart des multinationales sont parties. Mais un certain nombre de petites et moyennes entreprises, évoluant dans le secteur agricole ou des biens de consommation, qui ne sont pas visés par les sanctions, n'ont pas coupé les ponts. Cependant, le secteur de l'énergie constitue la majeure partie du commerce extérieur de l'Iran. Pour les entreprises étrangères qui continueront à évoluer sur le marché iranien, la difficulté numéro 1 concernera les paiements. Un grand nombre de banques iraniennes seront touchées par le second train de sanctions, qui entre en vigueur ce 5 novembre. La plupart de leurs homologues européennes refuseront désormais les virements en provenance d'Iran.

Que craignent-elles ?

Elles redoutent d'être sanctionnées par le régulateur américain, à un moment ou à un autre, quand bien même elles limitent leurs activités iraniennes aux secteurs non visés par les sanctions [BNP Paribas avait dû régler une amende de 9 milliards d'euros pour avoir contourné l'embargo précédent]. C'est la raison pour laquelle le ministre français de l'Économie, Bruno Le Maire, a plaidé, en mai dernier, pour la mise en place d'une version européenne de l'Ofac (Office de contrôle des actifs étrangers américains), afin de permettre aux entreprises européennes de commercer librement, où l'Europe le souhaite, sans être prisonnier d'échanges en dollars, dont les Américains surveillent l'utilisation.

Quelles solutions envisagent les Européens ?

Ils comptent mettre en place un mécanisme alternatif de paiement afin de maintenir les liens commerciaux avec l'Iran. Il s'agit d'une plateforme sur-mesure, nommée SPV - "Special purpose vehicle" en anglais, soit "véhicule dédié" en Français -, susceptible de compenser l'absence d'échanges financiers, en particulier en ce qui concerne l'exportation de pétrole et l'achat de biens à l'étranger. Par l'intermédiaire du SPV, une entreprise européenne qui exporte un produit vers l'Iran, par exemple, pourrait se faire payer par une autre société, importatrice d'un bien iranien. Un tel mécanisme de compensation éviterait d'avoir à faire entrer ou sortir de l'argent en Iran.

L'Iran est le 5e fournisseur de pétrole de la Chine, où il exporte plus d'un quart de sa production

Les sanctions vont considérablement limiter les exportations de pétrole iranien.

© / afp.com/-

Quelles conséquences ont d'ores et déjà les sanctions américaines en Iran ?

Plusieurs sources font état d'une pénurie de certains médicaments ou d'équipements médicaux. Des produits alimentaires sont eux aussi susceptibles d'être frappés par la pénurie, en particulier le blé, largement importé par le pays. Le problème est qu'un certain nombre de banques refusent d'être mêlées, de près ou de loin, au commerce avec l'Iran. La Cour de Justice internationale (CIJ) a ordonné à Washington de lever les sanctions visant des biens à des fins humanitaires, mais rien ne dit que les États-Unis en tiendront compte [ils ont récusé la compétence de la CIJ] et ne lanceront pas des représailles.

Le président Hassan Rohani, partisan d'une ligne pragmatique, ne risque-t-il pas de payer un prix politique à ces sanctions ?

Ce n'est un secret pour personne qu'il existe en Iran une faction puissante, rivale de Rohani,opposée à l'accord politique sur le nucléaire. L'augmentation de la pression internationale est un cadeau pour les éléments les plus radicaux du système, qui martèlent que l'Europe n'est pas capable d'avoir un positionnement indépendant de celui des États-Unis. Eux tenteront de pousser le régime à se rapprocher des puissances orientales comme la Russie et la Chine, alors que Rohani essaie de maintenir, vis-à-vis de l'Europe, les engagements iraniens de renoncement à l'armement nucléaire. Jusqu'à quel point l'Europe va-t-elle pouvoir respecter l'accord ? C'est un point crucial pour l'avenir. Rohani attendra sans doute quelques mois pour évaluer l'impact économique des nouvelles sanctions et observer la réaction de la rue. Si les protestations sont fortes, il devra changer de stratégie.

La portée des sanctions rappelle à quel point les États-Unis font la pluie et le beau temps lorsqu'il s'agit de commerce international, quand bien même l'Europe ou d'autres grandes puissances tentent de s'y opposer...

Oui, les six derniers mois ont été difficiles pour les Européens. La nouvelle administration de Donald Trump attise les tensions avec eux sur les questions de sécurité, de commerce ou de normes internationales. Cela dépasse le cas iranien, mais ce dernier a permis aux Européens de montrer qu'ils pouvaient être autonomes dans leur politique étrangère. Reste que leur marge de manoeuvre est limitée.

L'accord menacé par des projets d'attentats ?

Le Danemark accuse l'Iran d'avoir fomenté sur son sol une attaque contre trois résidents iraniens.Téhéran estime qu'ils appartiennent à un groupe tenu en partie responsable d'un attentat ayant fait 24 morts le 22 septembre dernier à Ahvaz, dans le sud-ouest du pays. Fin juin, Paris avait déjà accusé les services de renseignement iraniens de se trouver derrière un projet d'attentat visant en France un groupe d'opposants. "Il y aura des conséquences à ce qui s'est passé en France et au Danemark, estime Ellie Geranmayeh. Mais cela se limitera sans doute à des sanctions contre certaines entités iraniennes. Empêcher l'Iran de fabriquer des armes nucléaires restent la priorité numéro un."

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