Pourquoi Benyamin Netanyahu a-t-il pris la décision de lancer une offensive terrestre dans la bande de Gaza? Le gouvernement israélien semblait pourtant hésiter...

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Après l'échec du cessez-le-feu proposé par l'Egypte, le Premier ministre israélien avait deux options: maintenir la trêve unilatérale et s'attacher à trouver les termes d'un cessez-le-feu acceptable par le Hamas ou l'escalade militaire. Il a choisi la deuxième solution, probablement en raison de la pression politique à laquelle il est soumis au sein de son cabinet. Peut-être craignait-il aussi d'être accusé de faiblesse, alors que depuis des années, il maintient les Israéliens dans l'illusion que la solution à la question palestinienne est militaire et non politique.

Netanyahu n'a probablement pas pour objectif de changer fondamentalement l'équation en vigueur entre Israël et le Hamas. Il est toujours dans la réaction tactique, jamais dans la stratégie. Israël cherchera peut-être à renforcer un peu plus la ceinture qui entoure Gaza, en étendant d'un kilomètre, par exemple, le secteur frontalier rendu inaccessible de fait aux Palestiniens, sous peine d'être bombardés. Il n'est pas impossible que l'armée envisage une présence permanente dans certaines zones, soit le long de la frontière, soit sur un axe de passage qui couperait, par exemple, la ville de Gaza de celle de Khan Younès au sud du territoire, un peu à la manière dont elle l'a fait dans certains secteurs de la Cisjordanie.

Le but affiché de l'intervention est la destruction de tunnels. Pourquoi ne pas le faire du côté israélien de la frontière?

Cet argument me laisse très sceptique. Faire les gros titres sur la question des tunnels a, selon moi, deux motifs politiques, plus que militaires: cela permet à Netanyahu de montrer que contrairement à son ministre des Affaires étrangères, qui prône la réoccupation de Gaza, il a un objectif ciblé, réaliste. "Je suis capable d'intensifier notre action, semble-t-il dire, je ne suis pas un froussard, mais je ne suis pas non plus irresponsable".

L'autre raison, c'est que dans la psyché israélienne, les tunnels évoquent le rapt de Gilad Shalit qui avait été enlevé et emmené à Gaza par les tunnels. Selon moi, la question des tunnels, est un prétexte. Le gouvernement Netanyahu traite les symptômes, pas les causes. Les tunnels sont une des manifestations de la réaction du leadership de Gaza au blocus, un moyen de faire payer aux Israéliens l'asphyxie subie par le territoire. Plutôt que de se demander comment régler la question de Gaza, comment régler la question palestinienne, on fait croire qu'on va s'occuper des tunnels!

Pourquoi, en dépit de sa supériorité militaire, Israël n'est-il jamais parvenu, même après trois interventions militaires en 2006, 2009 et 2012, à stopper les roquettes en provenance de Gaza?

Israël dispose en effet d'une supériorité militaire écrasante, notamment grâce à l'aide américaine. On est face à l'un des conflits les plus asymétriques que l'on puisse imaginer. Mais quand des gens vivent dans des conditions intenables, n'ont aucune liberté, aucun espoir, rien ne peut les empêcher d'arriver à des conclusions irrationnelles. A considérer qu'ils n'ont d'autre issue, pour faire payer leurs tourments, que d'infliger des souffrances à la partie adverse. Israël fait d'ailleurs le même calcul: "Si on fait souffrir suffisamment les Palestiniens, ils se soumettront à notre volonté".

Une puissance asymétrique n'empêchera jamais la partie la plus faible de réagir, d'une façon ou d'une autre, d'exprimer sa colère, sa frustration. Les Américains et la coalition dont ils se sont entourés en Irak ou en Afghanistan en savent quelque chose.

Tant qu'Israël rejettera toute solution politique, rien ne mettra fin à la menace sécuritaire qu'il prétend combattre par cette offensive. Il gagnera au mieux quelques mois de tranquillité. Et à la place des tunnels surgira une autre menace. Les roquettes qui menaçaient Sderot il y a quelques années sont désormais capables d'atteindre Tel Aviv.

Le ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, réclame la réoccupation de Gaza. Est-ce possible?

Si Lieberman occupait le siège de Premier ministre, il ne dirait pas la même chose. C'est une posture. Réoccuper Gaza serait un cauchemar pour l'armée israélienne. Elle serait confrontée en permanence à un harcèlement armé, des attaques du type de ce que l'armée américaine a connu en Irak et en Afghanistan.

De son côté, pourquoi le Hamas a-t-il rejetté le cessez-le-feu?

Le mouvement islamiste veut faire comprendre que le "calme pour le calme" recherché par Netanyahu n'est plus possible. Si le calme revient, la vie en Israël pour les Israéliens redeviendra très confortable, mais les Palestiniens retourneront à la situation de siège qui leur est imposée depuis plusieurs années, alors que leurs conditions de vie ne cessent de s'aggraver. Le Hamas veut mettre fin à cette équation.

Quels sont les scénarios de sortie de crise pour Netanyahu?

L'objectif primordial de Netanyahu est de maintenir un contrôle maximum sur les territoires palestiniens avec un minimum de problèmes. Pour Gaza, Il a trois options:

- réoccuper le territoire. Cela coûterait très cher, comme on l'a vu. Netanyahu n'y est pas favorable;

- s'appuyer sur Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité palestinienne, qui a des intérêts communs avec lui: le retour au calme, mais aussi l'affaiblissement du Hamas. Pour cela, il faudrait admettre qu'Abbas aboutisse, d'une façon ou d'une autre, à un accord avec le Hamas, sans qui aucun arrangement n'est possible. C'est l'option d'un gouvernement palestinien de coalition rejetée le Premier ministre en juin dernier.

Et la troisième option?

C'est de considérer que le partenaire d'Israël à Gaza est le Hamas, un Hamas affaibli, mais le Hamas quand même. A mon sens, cette dernière option a la faveur du Premier ministre israélien. Principalement, parce qu'elle présente moins de danger, pour lui, que les deux autres: le danger de la guerre, si Israël occupe Gaza; la menace de la paix, si Abbas parvient, grâce à un accord avec le Hamas, à reprendre le contrôle de Gaza.

Partant de là, il fait face à un défi épineux: faire en sorte que le Hamas ne soit pas trop fort, mais pas trop faible non plus. Si l'intervention aboutit à une humiliation du Hamas, sortir de l'impasse actuelle sera très difficile. En effet, pour négocier un cessez-le-feu avec le mouvement islamiste, il faudra bien lâcher quelque chose.

La position de l'Egypte dans cette crise est inquiétante. Le cessez-le-feu présenté par Le Caire en début de semaine visait à écarter et humilier le mouvement palestinien. Or, Israël et l'Egypte n'ont pas exactement le même but. Israël tient moins à détruire le Hamas que l'Egypte ne le souhaiterait. Ce qui place l'Etat juif face à une absence de médiateur.

Enfin trop affaiblir le Hamas risque aussi d'encourager une radicalisation incontrôlable du type de celle de L'Etat islamique, qui ferait regretter aux Israéliens tant d'occasions manquées.

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