L'attaque perpétrée par un Palestinien à un arrêt de tramway à Jérusalem, qui a tué deux personnes, met en relief la situation chaque jour plus tendue dans la ville sainte. Depuis plusieurs mois, les échauffourées se multiplient entre Palestiniens et forces de l'ordre. Certains médias israéliens parlent même d'Intifada silencieuse ou d'Intifada municipale. Quelles sont les raisons de cette montée des tensions?

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Aux origines des troubles

Jets de pierres, tirs de cocktails Molotov, les violences se multiplient depuis l'assassinat de Mohammed Abou Khdeir, ce jeune Palestinien brûlé vif par un groupe d'extrémistes juifs, début juillet, en réponse à l'assassinat de trois étudiants juifs en Cisjordanie. "Cet événement a agi comme la goutte d'eau qui a fait déborder le vase du ressentiment généré par l'intensification de pratiques plus anciennes", souligne Jean-François Legrain, de l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman du CNRS: destructions de maisons de Palestiniens, expulsions, expropriations se multiplient et s'intensifient ces derniers mois. L'absence de réaction de la communauté internationale, au delà de déclarations rituelles, contribuent à conforter les partisans de la colonisation au sein du cabinet Netanyahu.

Lundi, le Premier ministre Benyamin Netanyahu, pressé par les alliés radicaux de sa coalition, a annoncé l'accélération de la construction de plus de 1000 logements dans les colonies de Har Homa et Ramat Shlomo. Le 30 septembre, des colons se sont emparés de force, en pleine nuit, de 25 appartements dans le quartier de Silwan, limitrophe de la Vieille Ville. Les colonies (Maale Adoumin, Silwan et Shuaffat) enserrent chaque jour un peu plus les Palestiniens de Jérusalem-Est.

De tous les territoires occupés, "Jérusalem et Hébron sont les deux seules villes où les colons sont installés au coeur même des quartiers arabes, souligne Daniel Levy, spécialiste du programme Moyen-Orient au Conseil européen des affaires étrangères. Les lourds dispositifs policiers mis en oeuvre pour assurer leur sécurité y rendent encore plus oppressante l'occupation".

La réponse des autorités mise en cause

La gestion de ces violences par les autorités de la ville est contestée. "Laisser la police s'en charger est une grave erreur, estime Meir Margalit, conseiller municipal Meretz (gauche) de Jérusalem. La police produit un cercle vicieux de violence en répondant par la violence", explique-t-il au Jerusalem Post. Interrogé par le même quotidien, Arieh King, l'un des promoteurs de la colonisation, estime au contraire que la police n'en fait pas assez et recourt au vocabulaire du Far West pour dire son dépit: "Il n'y a pas de shérif aujourd'hui. Ils (Les Palestiniens) parlent de Jérusalem-Est comme de l'Ouest sauvage".

Le statut des Palestiniens de Jérusalem

Les Palestiniens de la ville sainte se sentent comme des citoyens de seconde zone. La plupart d'entre eux sont, depuis l'annexion de la partie arabe de la ville, en 1967, de simples résidents. Ils avaient alors refusé d'accepter des passeports israéliens, ce qui serait revenu, selon eux, à avaliser l'annexion de Jérusalem --non reconnue par la communauté internationale.

Les résidents bénéficient en théorie de la plupart des droits des citoyens israéliens, mais ils ne votent pas et n'ont donc pas de représentants.

Ces dernières années, Israël s'efforce de diminuer le nombre de résidents palestiniens. S'ils partent à l'étranger trop longtemps, ils se voient retirer la possibilité de revenir vivre dans la ville de leurs ancêtres.

Les habitants arabes de Jérusalem-Est paient les mêmes impôts que les citoyens juifs de la ville, mais ils sont très loin de bénéficier des services municipaux et d'infrastructures à la hauteur de leur contribution. Les autorisations de bâtir sont délivrées au compte-gouttes, en dépit de la croissance démographique de la population arabe, alors que les colonies elles, se multiplient.

La question du statut de Jérusalem avait été laissée en suspens dans le cadre des accords d'Oslo. "Tout en laissant de côté le débat sur le statut définitif de la ville, il a pourtant été possible, par le passé, de trouver un arrangement avec la population, pour gérer au mieux leur vie quotidienne", plaide Daniel Levy.

La question épineuse de l'esplanade des Mosquées

Les incidents se multiplient également sur l'Esplanade des Mosquées qui abrite la mosquée Al-Aqsa et le Dôme du Rocher. Troisième lieu saint de l'islam, le site est aussi l'endroit le plus sacré pour les Juifs qui l'appellent le Mont du Temple.

Après l'annexion en 1967, pour éviter la multiplication des frictions, l'Etat juif a laissé à la Jordanie la gestion des lieux saints musulmans.

Les juifs ont le droit de se rendre sur l'esplanade à certaines heures et sous stricte surveillance, mais n'ont pas le droit d'y prier.

Israël limite aussi strictement l'accès au lieu saint aux Palestiniens de plus de 40 ans. C'est pourquoi le flambeau de la défense des lieux saints a été repris par des femmes palestiniennes, comme le rapporte Al Monitor.

aqsa femmes

Prière devant le Dome du Rocher, le 23 juilet.

© / AFP/Ahmad Gharabli

Depuis un peu plus d'un an, des colons envahissent régulièrement l'Esplanade, attaquent mosquées et églises, avec ce que les Palestiniens perçoivent comme la complicité des autorités.

Les tensions accrues des derniers mois à Jérusalem avivent la crainte qu'Israël ne change les règles régissant l'accès aux lieux saints. Une inquiétude renforcée par la publication récente d'articles sur une possible nouvelle législation en ce sens. "Les excentriques et les députés d'extrême droite ne sont plus les seuls à chercher à se rendre du le Mont du Temple, observe Haaretz. Des membres du Likoud "militent ouvertement pour mettre fin au statu quo".

Au point que la Jordanie a saisi le Conseil de sécurité de l'ONU, face à l'escalade en cours. Toucher à la fibre religieuse de la Jordanie, l'un des alliés les plus fidèles des occidentaux dans la région est particulièrement maladroit. Le symbolisme d'Al-Aqsa est très fort et mobilise largement, y compris les mouvements islamiques arabes israéliens. Autre acteur présent dans la crise actuelle, le Parti de la Libération islamique, un groupe radical longtemps indifférent à la résistance armée des Palestiniens à l'occupation israélienne. Pour cette raison, selon Jean-François Legrain, Israël l'avait laissé prospérer à Jérusalem et à Hébron, où il est assez bien implanté.

Une troisième intifada ?

"Après l'éloignement entre la Cisjordanie et Gaza entrainé par les entraves à la circulation entre les deux territoires, l'agitation circonscrite à la ville sainte illustre l'impact des politiques de division des Palestiniens menées par Israël", constate Jean-François Legrain. Les troubles qui se sont poursuivis au cours de l'été à Jérusalem, étaient autant liés à la mort de Mohammed Abou Khdeir et aux provocations qu'à une réaction à l'opération militaire contre Gaza. Reste que dans cette région, l'extension d'un foyer de troubles n'est jamais exclu, alors que l'espoir d'un règlement semble plus inaccessible que jamais. Tout le monde a en mémoire que la visite sous haute protection d'Ariel Sharon sur l'esplanade des Mosquées, le 28 septembre 2000, avait déclenché la seconde Intifada et plusieurs années de soulèvement palestinien.

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