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Analyse

Merkel-Poutine, les ressorts d'une relation ambivalente

La chancelière allemande est sans doute la mieux placée pour maintenir le dialogue avec Vladimir Poutine et tâcher d'apaiser les tensions en Ukraine. Mais l'exercice est délicat et doit se faire en étroite concertation avec ses partenaires européens et américains.

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Par Thibaut Madelin

Publié le 17 mars 2014 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Angela Merkel a une phobie : les chiens. Que lui offre Vladimir Poutine lorsqu'elle vient lui rendre visite en janvier 2006 ? Un chien en peluche. Fraîchement élue, la nouvelle chancelière allemande l'avait il est vrai un peu cherché. Pour marquer la rupture avec son prédécesseur, Gerhard Schröder, proche du président russe, elle avait profité de sa présence à Moscou pour rencontrer l'opposition. Un an plus tard, lorsqu'il la reçoit dans sa résidence en Crimée, il laisse son labrador noir Koni sauter au cou de la chancelière. « Aujourd'hui encore, cette atmosphère de duel persiste entre Merkel et Poutine », observe le journaliste Stefan Kornelius dans sa biographie de la chef du gouvernement allemand.

Pourtant, alors que l'Europe vit sa « crise la plus grave depuis la fin de la guerre froide », selon le ministre des Affaires étrangères allemand Frank Walter Steinmeier, les espoirs de sortie de crise reposent principalement sur cette drôle de relation. Angela Merkel est aujourd'hui le seul leader de l'Ouest que Vladimir Poutine respecte réellement. La chancelière a grandi en Allemagne de l'Est, parle russe. « Elle comprend ce que d'autres ne comprennent pas », juge Stefan Meister, du Conseil européen des relations étrangères (ECFR). L'inverse est aussi vrai. Parlant couramment allemand, un goût qu'il a transmis à ses enfants, le président russe était agent du KGB à Dresde quand le rideau de fer est tombé.

Cette compréhension teintée de méfiance s'est illustrée en 2008, lorsque la chancelière a freiné la volonté des Etats-Unis, qui souhaitaient faire entrer l'Ukraine et la Géorgie dans l'Otan, redoutant une humiliation du président russe. Six ans plus tard, les experts se demandent si elle a effectivement évité un conflit avec Moscou ou, au contraire, échoué à sortir définitivement Kiev de l'ex-giron soviétique. Depuis ce jour, Vladimir Poutine voit en elle un partenaire difficile mais fiable, même si leurs convictions restent diamétralement opposées : la chancelière voit la chute du mur de Berlin comme un accès à la liberté et aux valeurs occidentales de progrès; le président russe considère cet événement comme « la plus grosse catastrophe géopolitique du XXe siècle ».

Quoi qu'il en soit, l'Allemagne reste appelée à jouer un rôle clef. Son lien géographique, culturel et économique avec l'Est l'y contraint. Située plus près de Lemberg, la ville touristique d'Ukraine, que de Paris, Berlin a de facto un pied à l'Est. L'Allemagne compte près de 3 millions de russophones (presque autant que de personnes d'origine turque), souvent venus des anciennes républiques soviétiques. Autant de facteurs qui expliquent l'intensité avec laquelle sont suivies les tensions en Crimée. Dans les médias, elles sont omniprésentes, tout comme l'était, en son temps, la catastrophe nucléaire de Tchernobyl.

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La relation économique explique aussi cet intérêt : l'Allemagne achète un tiers de son gaz et de son pétrole à la Russie et les échanges entre les deux pays s'élèvent à près de 80 milliards d'euros. C'est tout le problème d'Angela Merkel, qui ne peut pas rompre les liens avec ce partenaire commercial et se doit d'être crédible dans ses menaces de sanctions économiques. « La dépendance de l'Allemagne au gaz russe peut limiter réellement la souveraineté de l'Europe », s'est inquiété la semaine dernière Donald Tusk, le Premier ministre polonais. A Berlin, on répond que l'Allemagne a toujours été livrée par Moscou, même au pic de la guerre froide. Pour une raison simple : le budget russe dépend pour plus de moitié de ses exportations d'hydrocarbures.

Alors que le nouveau gouvernement allemand s'interroge sur sa responsabilité internationale, comment va-t-il gérer la crise ukrainienne ? D'abord « en étroite coordination avec ses partenaires », comme l'a répété Angela Merkel jeudi dans un discours solennel au Bundestag. Berlin sait que Moscou n'attend qu'une chose : la division entre les partenaires européens, mais aussi avec les Etats-Unis. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Vladimir Poutine a recueilli l'ancien agent américain Edward Snowden, dont les révélations sur les écoutes de la NSA - notamment du téléphone portable de la chancelière allemande - ont créé de vives tensions entre Berlin et Washington.

Jusqu'ici, malgré des approches différentes sur la vitesse et l'ampleur des sanctions vis-à-vis de la Russie, les deux capitales ont fait front uni. Tout comme les pays européens, entraînés à se coordonner depuis la crise de l'euro. Un succès qui doit beaucoup à la concertation étroite entre le ministre allemand des Affaires étrangères, Frank Walter Steinmeier, et son homologue français, Laurent Fabius, ainsi que le Polonais Radoslaw Sikorski, même si leur intervention commune à Kiev s'est finalement traduite par la fuite du président ukrainien Viktor Ianoukovitch et l'éclatement de la crise avec Moscou.

Après avoir péché par naïveté, en accordant à Vladimir Poutine une certaine rationalité, Angela Merkel estime aujourd'hui que le président russe a perdu le sens des réalités, comme elle l'aurait confié à Barack Obama, selon le « New York Times ». Mais, cent ans après l'éclatement de la Première Guerre mondiale, dont la chancelière a lu l'année dernière le récit par l'historien Christopher Clarck, elle sera la dernière à envisager une riposte militaire aux manoeuvres de Vladimir Poutine. Jusqu'ici, ses efforts diplomatiques et sa proposition de groupe de contact entre Ukrainiens, Russes et Européens n'ont pas encore porté leurs fruits. La voie des sanctions semble donc inéluctable. Le duel Merkel Poutine ne fait que commencer.

Les points à retenir

Les espoirs de sortie de crise en Ukraine reposent principalement sur la relation entre Moscou et Berlin.

Angela Merkel est aujourd'hui le seul leader de l'Ouest que Vladimir Poutine respecte réellement.

Le président russe voit en elle un partenaire difficile, mais fiable, même si leurs convictions restent diamétralement opposées.

Correspondant à Berlin Thibaut Madelin

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