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Les six causes de la discorde

La dégradation de la relation franco-allemande est multiforme. Elle s'explique à la fois par une perte de confiance politique et de nombreuses divergences économiques.

Par Thibaut Madelin, Pierre-Alain Furbury, Catherine Chatignoux

Publié le 27 nov. 2014 à 01:01

Un manque de confiance

Leur relation avait démarré sur des bases détestables. Mais depuis deux ans et demi, François Hollande et Angela Merkel, qui partagent le même pragmatisme, ont appris à se connaître et à fonctionner ensemble. Sans être véritablement chaleureux, leurs liens sont devenus « cordiaux ». Depuis un dîner dans un restaurant berlinois en juin 2013, ils se tutoient. La crise ukrainienne a aussi joué un rôle de catalyseur. Notamment ce que l'Elysée appelle le « format Normandie », en référence à la première rencontre - en marge des commémorations des soixante-dix ans du Débarquement allié - entre Vladimir Poutine et son homologue ukrainien Piotr Porochenko, sous l'égide de la France et de l'Allemagne. Mais, au-delà de « l'humain », les relations restent compliquées. Sur le fond, le président français et la chancelière allemande sont loin d'être dans la confiance. « Il n'y a pas entre eux de proximité idéologique. Hollande aurait préféré avoir affaire à un social-démocrate », glisse un socialiste. Angela Merkel sait le couple franco-allemand incontournable en Europe, mais elle rêve d'un partenaire fiable et François Hollande, à ses yeux, ne l'est pas assez. Irritées par les délais successifs obtenus par Paris pour réduire les déficits, les autorités allemandes jugent insuffisants les réformes et le plan d'économies du gouvernement français. « Tant que la France ne sera pas économiquement à flot, elle sera toujours vue par les Allemands comme un boulet », résume un français.

L'écart des économies

En 2010, la France et l'Allemagne accusaient toutes les deux une dette publique représentant 83 % de leur PIB. Grâce à un budget à l'équilibre, ce ratio doit tomber à 70 % en Allemagne en 2016, alors qu'il doit progresser à presque 100 % en France. Le taux de chômage est de 5 % outre-Rhin contre 10,5 % en France, selon Eurostat. Ce déséquilibre s'ajoute aux autres, dont le colossal excédent allemand (198 milliards d'euros en 2013) là où la France affiche un lourd déficit (61 milliards) et les coûts du travail, où l'Allemagne fait figure de meilleur élève. Même si le tableau est plus nuancé sur la croissance puisqu'elle n'a été que de 0,3 % en Allemagne en 2013, contre 0,2 % en France, ces différences placent forcément le pays le plus performant en donneur légitime de leçons et prive le mauvais élève de toute crédibilité à proposer des solutions de sortie de crise.

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des intérêts différents

Selon l'Insee, la population de la France devrait atteindre 73,6 millions en 2060, soit environ 12 millions de plus qu'en 2007. En Allemagne, la courbe est inversée. Selon Destatis, la population devrait tomber de 80,8 à une fourchette comprise entre 65 et 70 millions d'habitants. D'où le consensus des Allemands en faveur de l'assainissement des finances publiques et d'une inflation faible qui protègent les épargnants. Des divergences culturelles s'ajoutent, avec une ligne de pensée économique ordo-libérale qui domine dans le débat public en Allemagne et une autre plus keynésienne et colbertiste en France. Cette divergence contribue à une « désintégration du dialogue » entre les deux pays, selon Sebastian Dullien, professeur à l'Ecole supérieure de technique et d'économie (HTW) de Berlin.

des ambitions decalées en Politique étrangère

C'est un grief récurrent de la France à l'Allemagne : celle-ci ne s'engage pas assez sur la scène internationale, laissant à ses partenaires européens ou américains le rôle de gendarme de la planète. Berlin n'apprécie pas la critique et met en avant la présence de plus de 3.000 soldats allemands sur les théâtres d'opérations extérieures, par exemple en Afghanistan. Néanmoins, depuis l'abstention de l'Allemagne au vote des Nations unies sur la Libye, en 2009, le gouvernement veut être un partenaire plus fiable. Les ministres de la Défense et des Affaires étrangères plaident pour une responsabilité accrue, mais la chancelière reste discrète. Autre sujet de discorde : les exportations d'armes, notamment issues d'entreprises franco-allemandes, que Berlin veut restreindre.

Des désaccords sur la gouvernance

Longtemps les Français ont cherché à convaincre l'Allemagne que la zone euro ne pouvait se contenter d'une politique monétaire unique - pas toujours adaptée aux cycles économiques fluctuants des pays - et qu'elle devait s'accompagner d'une politique économique commune et d'une dose de redistribution voire de solidarité. Longtemps l'Allemagne est restée sourde à cette demande, y voyant une volonté française de saper l'indépendance de la Banque centrale européenne. Et puis, pour Berlin, il n'était nul besoin d'un gouvernement économique : il suffisait que chacun s'emploie dans son propre pays à tenir son budget, sa compétitivité et ses comptes extérieurs pour que la zone euro fonctionne. La crise a inversé les positions. On voit la France, avocate d'une union budgétaire, pousser des cris d'orfraie chaque fois que la Commission exerce son droit de regard sur son budget. De son côté, la chancelière reconnaît désormais l'utilité d'une coordination des politiques nationales, ne serait-ce que pour améliorer les niveaux de compétitivité des pays du sud de la zone euro. Le paradoxe est donc que, aujourd'hui, c'est l'Allemagne qui est prête à pousser l'intégration économique fiscale, voire sociale, mais que la France freine.

Des divergences sur les remèdes à la crise

La chancelière allemande n'en démord pas : c'est l'indiscipline des Etats qui les a mené au bord de la banqueroute : trop de dépenses publiques et des pertes de compétitivité ont gonflé les déficits publics et les dettes. Hier matin, elle répétait encore : « L'Allemagne a vécu pendant des années au-dessus de ses moyens, mais nous mettons fin à cela grâce à une politique budgétaire raisonnable. » En l'occurrence, un strict équilibre du budget fédéral. Elle approuve aussi l'austérité qui a prévalu depuis 2011 dans la zone euro, en dépit de ses effets collatéraux comme l'explosion du chômage des jeunes et la stagnation économique. Là où la France milite pour un puissant relais d'investissement en Europe pour reconstituer les pertes d'actifs dues à la crise, elle prêche la discipline budgétaire « grâce à laquelle nous pouvons investir ». Berlin met aussi l'accent sur les réformes de structures, notamment assouplissement du marché du travail, une stratégie qui ne convainc pas la France, quand elle constate que les fameuses lois Hartz ont fabriqué, outre-Rhin, des emplois peu rémunérés et de la précarité.

C. C., Pa. F. et T. M.

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