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Analyse

Guerre civile et Daech, la double menace libyenne

Plus de quatre ans après la chute du colonel Kadhafi, la Libye menace de sombrer dans l'anarchie. Le 13 décembre à Rome, les grandes puissances vont tenter de réconcilier Tripoli et Tobrouk.

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Par Jacques Hubert-Rodier

Publié le 11 déc. 2015 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

La course contre la montre a commencé pour éviter que la Libye ne devienne une Syrie-bis, à 350 kilomètres des côtes de l'Union européenne. En plus des attentats, des luttes intestines entre milices rivales et de la formation de deux gouvernements rivaux, la Libye est menacée aujourd'hui par l'installation de l'Etat islamique (Daech) à Syrte, à Derna et par son extension dans d'autres régions dans le Fezzan, voire à Tripoli même.

Dimanche 13 décembre, Américains, Européens, Russes, les pays du Maghreb, l'Egypte ainsi que des représentants des deux gouvernements rivaux libyens doivent se retrouver à Rome. Les Italiens, qui parrainent cette rencontre, espèrent réunir autour de la table autant de parties prenantes que dans les négociations de Vienne sur la Syrie. « Il y a urgence à trouver une sortie politique. L'objectif est de parvenir à un accord d'ici à la fin de l'année » entre les deux gouvernements qui se partagent la Libye, précise un proche des négociateurs. L'espoir est d'éviter ainsi la désagrégation complète et de stopper l'avancée de Daech, qui a pu s'implanter comme une « verrue dans le pays », selon l'expression de Mattia Toaldo, spécialiste de la Libye et des questions migratoires à l'ECFR (European Council on Foreign Relations). L'urgence pour l'Union européenne est également d'empêcher la reprise des flux migratoires massifs vers l'Europe à partir de la Libye. Des flux qui s'ajouteraient aux dizaines de milliers de réfugiés passant actuellement par la route des Balkans.

La menace d'implosion libyenne ne concerne pas seulement l'Europe, mais également les pays voisins : l'Egypte, l'Algérie, la Tunisie, et au-delà ceux de l'Afrique sub-saharienne.

Car quatre ans après la chute de Mouammar Kadhafi, la Libye est dans une situation proche de celle d'un Etat « failli ». Alors que les positions de Daech en Syrie et en Irak sont bombardées, la Libye pourrait devenir un sanctuaire terroriste. En 2013, déjà, les djihadistes qui s'apprêtaient à entrer dans Bamako au Mali avant d'être arrêtés par l'armée française, avaient récupéré des stocks d'armes abandonnées par l'ancienne armée du colonel Kadhafi. Aujourd'hui, la Libye est coupée en deux entre Cyrénaïque et Tripolitaine, et ce depuis l'été 2014, quand le Parlement élu, et reconnu par la communauté internationale, a décidé de déménager à Tobrouk, dans l'est du pays, jugeant la situation dans la capitale Tripoli trop dangereuse. Quelques semaines après, une coalition, « Aube de la Libye », a formé son propre Congrès général national, à Tripoli.

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Certes, les divisions idéologiques et religieuses ne sont pas aussi nettes que certains veulent les voir entre Islamistes à Tripoli et plutôt laïcs à Tobrouk. « Il n'y a pas à proprement parler de laïcs en Libye. A Tripoli on retrouve ceux qui ont combattu Kadhafi y compris des islamistes et à Tobrouk ceux qui ont changé de position, souligne Mattia Toaldo. Cette rivalité entre factions rivales n'est pas le fruit d'affrontements confessionnels comme en Irak entre chiites et sunnites », poursuit l'expert de l'ECFR.

Mais elle a créé un véritable vide sécuritaire dans lequel l'Etat islamique a pu s'engouffrer grâce à l'allégeance à son chef Abou Bakr al-Baghdadi de quelques combattants libyens. Si ces derniers sont minoritaires dans les rangs du mouvement terroriste, on retrouve sur place quelque 2.000 combattants venus d'Irak mais aussi pour beaucoup du Maroc, d'Algérie ou encore de Tunisie, selon le pointage réalisé par Kader Abderrahim, chercheur à l'Iris. Cette présence, selon le chercheur, représente des menaces certaines pour la Tunisie qui, comme l'a prouvé l'attentat contre la garde présidentielle le 24 novembre dernier, éprouve des difficultés à lutter contre le terrorisme.

Pour l'Algérie la situation est un peu différente, car elle est parvenue à infiltrer les milieux terroristes. Mais il n'existe pas de sécurité absolue. L'attaque d'In Amenas, dans le sud algérien en janvier 2013, tout comme l'assassinat du Français Hervé Gourdel, enlevé en septembre 2014 à une centaine de kilomètres d'Alger par un groupe ayant fait allégeance à l'Etat islamique, en sont la preuve. Quant à l'Egypte, elle n'est pas à l'abri de nouveaux attentats comme celui contre un avion russe revendiqué par l'Etat islamique. En février, Daech avait par ailleurs filmé à des fins de propagande l'assassinat en Libye de 21 Egyptiens de religion copte.

C'est cette présence de l'Etat islamique en Libye qui pousse la communauté internationale à faire pression sur les factions rivales de Tobrouk et de Tripoli pour trouver un accord entre elles. Car les Etats occidentaux, à l'exception d'interventions ponctuelles comme les Américains viennent de le faire en lançant un raid aérien contre un camp de Daech à Derna - tuant à cette occasion un de ses chefs en Libye -, ne sont pas prêts à repartir dans une offensive militaire d'ampleur, comme celle menée par la France et le Royaume-Uni en 2011. Et les combats au sol doivent être menés par l'armée libyenne. Ce qui suppose une réconciliation entre Tripoli et Tobrouk. En septembre, les Nations unies étaient parvenues à faire accepter un document d'entente entre les deux gouvernements rivaux qui peut constituer une bonne base de départ. Mais faute d'être tombés d'accord sur la répartition des portefeuilles ministériels et des sièges, ce document n'a pas été ratifié. A Rome, l'erreur serait d'accoucher d'un gouvernement reconnu par l'ONU, sans pour autant faire disparaître les deux autres gouvernements rivaux et mettre fin au chaos actuel. Qui profite d'abord à Daech...

Les points à retenir

Profitant du chaos post-Kadhafi, l'Etat islamique est en train de constituer dans le nord de la Libye un nouveau bastion, à 350 km des côtes européennes.

Au-delà de l'aspect sécuritaire, l'urgence pour l'Union européenne est d'empêcher la reprise des flux migratoires massifs vers l'Italie.

Mais la menace d'implosion libyenne concerne également les pays voisins : l'Egypte, l'Algérie, la Tunisie, et ceux de l'Afrique subsaharienne.

Editorialiste de politique internationale Jacques Hubert-Rodier

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