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En finir avec le sino-pessimisme

En quelques mois, l'enthousiasme démesuré que suscitait la Chine s'est transformé en un pessimisme tout aussi exagéré. Certes, l'économie connaît un fort ralentissement, mais celui-ci relève davantage d'un rééquilibrage que d'un effondrement.

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Par Francois Godement (conseiller spécial à l’Institut Montaigne)

Publié le 21 août 2015 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

La croissance « en panne ». Le marché boursier « effondré ». La « dévaluation-panique ». Et, bien sûr, l'accident de Tianjin. En quelques mois, le sentiment dominant s'est renversé : on est passé de la prédiction d'une Chine surpassant rapidement toutes les autres économies au sino-pessimisme le plus noir. Au dire de certains, la Chine plomberait la croissance mondiale. En une journée, le mardi 4 août, la Bourse de Paris a connu une baisse plus forte que celle de la monnaie chinoise « dévaluée », alors même que les ventes à la Chine ne représentent que 3,5 % de nos exportations.

Bien sûr, l'économie chinoise a ralenti : de plus de 10 % ces trente dernières années, la croissance est passée à un peu moins de 7 %. Cette baisse se déroule exactement dans les secteurs qui avaient le plus grand besoin d'un refroidissement, après des années de fuite en avant. La production d'acier et, avec elle, celles d'électricité et de charbon ont chuté : c'est la meilleure des nouvelles pour l'environnement et le climat. L'immobilier résidentiel, longtemps dopé par la spéculation locale, a connu une baisse, tout comme les investissements dans les grands travaux (l'un et l'autre sont repartis à la hausse ces derniers mois).

Le chiffre qui a le plus impressionné, c'est la baisse inusitée des exportations (-8,4 % sur un an). Mais les importations ont diminué d'autant, grâce à une chute du prix de l'énergie et des matières premières qui bénéficie au consommateur chinois comme au consommateur européen. Qui a relevé que l'excédent commercial chinois atteignait un record historique, avec plus de 60 milliards de dollars certains mois de 2015 ?

Un chiffre est passé totalement inaperçu : la hausse du revenu et de la consommation individuelle, de 10,4 % entre juillet 2014 et juillet 2015. C'est la troisième année que ce chiffre surpasse la hausse du PIB, et il témoigne d'un rééquilibrage de l'économie chinoise. Oui, de janvier à juin 2015, le marché automobile n'atteint « que » 10 millions de véhicules - à peine plus qu'au premier semestre 2014. Mais c'est de loin le premier marché mondial. L'ensemble de la consommation individuelle voit les marques chinoises progresser et les marques étrangères stagner ou reculer - une évolution que laissait présager, entre autres, la campagne contre la corruption. Quant au marché boursier shanghaïen qui s'est « effondré », il est encore à 63 % au-dessus de son niveau d'il y a un an...

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Les effets du ralentissement chinois sur les économies développées sont eux aussi exagérés. Certes, les vendeurs du luxe et du premium ne peuvent plus espérer de croissance à deux chiffres. Pour les autres, la hausse précédente du yuan laisse tout de même des marges. Pour ceux qui font fabriquer en Chine (plus de 60 % des exportations chinoises sont faites par des entreprises à capitaux au moins en partie étrangers), la dévaluation limitée du yuan est une bonne nouvelle.

Quel paradoxe : des Occidentaux réclamant naguère une libération du change chinois s'affolent quand celui-ci décroche - enfin - du dollar : pour notre part, nous attendons surtout que cette flexibilité soit aussi démontrée à la hausse. Des Européens, naguère assommés par la montée du prix de l'énergie et des matières premières, se disent aujourd'hui atterrés par leur baisse, alors que les prix élevés transféraient la plus-value vers les pays producteurs.

Il y a certes une ambiguïté dans la démarche des autorités monétaires chinoises. En décrochant la monnaie du dollar, elles évoluent vers une économie de marché où le pilotage des taux d'intérêt devient primordial et où une libéralisation des échanges extérieurs est nécessaire. Or on sait qu'elles en redoutent les risques. Les réformateurs de la banque centrale - guère écoutés ces deux dernières années - n'auraient pas eu gain de cause si la flexibilité s'était traduite par une réévaluation : la baisse de la devise, elle, a mis tout le monde d'accord. La croyance en la capacité d'intervention publique en sort renforcée, comme après l'épisode de la reprise en main du marché boursier. Mais la crédibilité du marché, elle, est atteinte.

« Donner et retenir ne vaut ». A force de pilotage à vue, de changements à petits pas plutôt que du big bang, d'allers et retours entre le marché et la main plutôt visible de l'Etat, la politique économique chinoise devient illisible, alors qu'elle avait toujours suscité des anticipations optimistes.

Mais le pessimisme qui en résulte n'est pas justifié. La Chine n'avait jamais été la « locomotive » de la croissance mondiale, pour cette simple raison qu'elle vend bien plus qu'elle n'achète, et qu'elle n'emprunte guère à l'extérieur. Son ralentissement économique découle de la transition vers un autre modèle. Il fait baisser le prix des facteurs. La dévaluation compétitive avec ses concurrents (économies émergentes et asiatiques) incite simplement à une politique européenne plus audacieuse, pour stimuler notre propre consommation et nos propres investissements.

François Godement

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