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Chronique

La fête numérique bat son plein, son épilogue reste à écrire

C'est un marché à la croissance exponentielle où les innovations semblent sans limites. Réjouissante par ses promesses, la révolution numérique est également porteuse de lourdes menaces pour l'espèce humaine.

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Par Edouard Tétreau (essayiste et conseiller de dirigeants d’entreprises)

Publié le 7 janv. 2015 à 01:01

Avec l'Internet, on n'est pas à 1.000 milliards de dollars près. Au Consumer Electronics Show de Las Vegas, où la délégation des entreprises françaises impressionne (66 start-up, 1er contingent européen, 5e contingent mondial), on s'enthousiasme pour un marché à la croissance exponentielle, où les innovations semblent n'avoir aucune limite et s'enchaînent à une vitesse accélérée. Ainsi, chez General Electric, on estime que l'Internet industriel devrait ajouter entre 10.000 et 15.000 milliards de dollars de valeur économique d'ici à vingt ans. Pour Cisco, la création de valeur liée à l'Internet des objets atteindra 19.000 milliards de dollars d'ici à 2020. Il ne s'agit pas des êtres humains, qui peinent - c'est une façon de parler - à se reproduire à un misérable rythme de 1,2 % de croissance annuel. Mais bien des machines connectées à Internet : elles seraient environ 5 milliards cette année; elles seront 25 milliards en 2020, d'après le cabinet Gartner.

La fête est belle. Les perspectives de gains, pour ceux qui possèdent et déploient ces technologies, sont à l'échelle de ce bouleversement. Bientôt, même les banquiers de la City (bonus moyen attendu en hausse de 21 % cette année, à 124.680 livres) ou les employés du « private equity » (bonus moyen attendu à 145.000 livres) feront figure de lumpenprolétariat à côté des entrepreneurs et salariés des industries du numérique. Qui s'en plaindrait ?

Peut-être toutes celles et ceux qui vont se faire remplacer, dans leurs activités économiques les plus simples comme les plus sophistiquées, par ces technologies. Aux dernières nouvelles, cela commence à faire du monde.

C'est le paradoxe de la nouvelle économie du XXIe siècle : elle a besoin de capital financier et de capital humain pour se lancer. Mais elle semble pouvoir, sinon vouloir, s'affranchir de ce capital-là très rapidement. Une étude d'Oxford estime que 47 % des emplois actuellement référencés aux Etats-Unis sont amenés à disparaître à moyen terme du fait de la numérisation. Appliqué à l'échelle française, ce ratio de « remplacement » concernerait 12 millions d'emplois. Et à l'échelle européenne, 105 millions.

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Les optimistes balaient d'un revers de main ces risques, en rappelant que les moments de révolutions technologiques et industrielles (électricité, imprimerie, chemins de fer) sont toujours accompagnés de destruction nécessaire - schumpetérienne - d'emplois, avant de voir émerger de nouveaux besoins et services liés à cette révolution.

C'est vrai, à cela près que cette fois-ci, deux nouveaux éléments entrent dans l'équation : la vitesse de destruction de ces emplois et le remplacement de l'intelligence humaine par l'intelligence artificielle. La vitesse : l'être humain s'adapte à tout, à condition de lui en laisser le temps. Or, de quel temps dispose-t-il face à la vitesse et la puissance de calcul - et désormais de pensée - de dizaines de milliards de machines connectées à l'Internet ?

Il faut prendre très au sérieux l'interview donnée par Stephen Hawking à la BBC le mois dernier, dans laquelle ce grand scientifique, qui bénéficie pleinement des bienfaits de l'intelligence artificielle (une machine connectée lui permet d'exprimer son intelligence, qui serait, sinon, emmurée dans son corps), pointe la menace d'une extinction rapide de l'espèce humaine. A cause justement de cette intelligence artificielle qui « pourrait s'émanciper et même améliorer sa propre conception à une vitesse toujours croissante. Les humains, limités par leur évolution biologique lente, ne pourraient pas rivaliser et seraient détrônés ».

Qui s'en préoccupe, à Wall Street, à la City de Londres, au Consumer Electronics Show de Las Vegas, dans la Silicon Valley ? Ou dans les laboratoires de Pékin, où l'on séquence le génome humain de 2.000 surdoués pour l'instiller demain - à des humains ou à des machines - au nom de la compétitivité ?

Les technophiles béats balaieront ces questions d'un clic - ou d'un glissement de doigt sur leur tablette. Les autres seront attentifs aux travaux et initiatives qui émergent sur ces sujets, dans des lieux inattendus, très éloignés des « labs », « hubs », pôles technologiques et financiers qui entreprennent aujourd'hui de dominer le monde. Ces lieux, ce sont les temples, églises, centres spirituels, de tous horizons et toutes confessions, croyants et non-croyants. Des lieux où l'on se fait des êtres humains une autre idée que la religion dominante du moment. S'il existe un risque de guerre de Religion au XXIe siècle, il est dans cette confrontation-là : entre ceux qui veulent réduire les êtres humains à un algorithme, pour mieux les remplacer et en tirer profit pour eux-mêmes; et ceux qui choisiront toujours d'être du côté des humains, aussi faibles, limités, handicapés et hors norme soient-ils - à l'image de Stephen Hawking. Mais dotés d'une conscience irréductible et dont on peut espérer qu'elle triomphera, in fine.

La diplomatie vaticane exprimait dès cet automne la possibilité d'une visite du pape François à New York, à l'occasion de l'Assemblée générale de l'ONU. A côté de cette assemblée d'Etats aux démocraties souvent dépassées par la révolution numérique en cours se trouve Wall Street, épicentre de cette nouvelle économie mondiale. N'est-ce pas là que doit commencer cette reprise de conscience, pour remettre l'humain au centre et non à la périphérie de nos économies ?

Edouard Tétreau

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