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Chronique

BNP Paribas aux Etats-Unis : les leçons d'un racket

La menace de sanction que les Etats-Unis font peser sur la banque française plane sur l'ensemble des établissements de la zone euro. Il est urgent de présenter un front diplomatique uni face à l'impérialisme du droit américain.

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Par Edouard Tétreau (essayiste et conseiller de dirigeants d’entreprises)

Publié le 25 juin 2014 à 01:01

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. » Alors que la première banque de la zone euro va bientôt faire un chèque d'environ 9 milliards de dollars à l'administration Obama, on relira avec bonheur les fables de La Fontaine, en l'occurrence « Les Animaux malades de la peste ».

Le racket, puisqu'il faut bien l'appeler par son nom, ne fait que commencer pour les banques européennes. De bonnes sources new-yorkaises estiment qu'une douzaine d'autres établissements du continent européen attendent, fébrilement, que le couperet tombe sur leurs états-majors, et que leurs résultats se fassent siphonner pour le plus grand profit du Trésor américain et des agences qui ont aidé à ces opérations lucratives (le DFS, « Department of Financial Services » de Benjamin Lawsky, notamment). Tant pis pour le système bancaire et donc l'économie et la croissance de la zone euro.

Avec l'administration Obama, on se demande si « les jugements de cour vous feront blanc ou noir », selon que vous êtes anglophones et insulaires, ou européen et continental. Sans juger ici la réalité des faits reprochés à BNP Paribas, il convient de les mettre en perspective avec d'autres sanctions récentes, dans des domaines similaires. La très britannique banque, Standard Chartered, avait ouvert le bal en 2012 : 667 millions de dollars d'amende pour avoir dissimulé, dixit le DFS, 250 milliards de dollars de transactions interdites avec des clients iraniens pendant dix ans. BNP Paribas aurait dissimulé dix fois moins de transactions « illicites » que Standard Chartered, mais va payer une amende treize fois plus importante. Pourquoi une telle différence ? Est-ce parce que Sir John Peace, chairman de Standard Chartered, sut, mieux que ses homologues français, manier l'humour et la langue de Shakespeare, au point de présenter ces 250 milliards de dollars de transactions comme une « erreur de guichet » (« clerical error ») ?

De l'humour, il en faut aussi lorsque l'on compare le montant de l'amende infligée à BNP Paribas avec celui réclamé par l'administration Obama à HSBC en 2012 (1,9 milliard de dollars). Quels faits étaient reprochés, dans un rapport de 300 pages du Sénat américain, à cette banque mondiale ayant son siège social à Canary Wharf ? Des broutilles. 19,7 milliards de dollars de transactions vers l'Iran, la Corée du Nord, la Birmanie, entre 2001 et 2007. Mais aussi, cerise sur le gâteau, la mise en place d'un système remarquablement efficace de blanchiment de l'argent des principaux cartels de la drogue en Amérique centrale, notamment les très meurtriers cartels mexicain Sinaloa et colombien Norte del Valle. Ces derniers, ayant blanchi 881 millions de dollars grâce à HSBC, avaient poussé leur processus industriel de blanchiment jusqu'à préparer des enveloppes dimensionnées à la taille des guichets de banque d'HSBC Mexico. Est-on si sûr que les éventuelles fautes de BNP Paribas étaient graves au point de justifier une amende près de cinq fois supérieure à celle d'HSBC ?

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Cette affaire BNP Paribas qui ne passe pas - en attendant les suivantes - vient souligner, à la veille du Conseil européen qui doit entériner la nomination de Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission européenne, deux défis majeurs pour l'Europe. Le premier concerne l'extraterritorialité des lois américaines (à travers le dollar, mais aussi les plates-formes numériques, sous droit américain), et sa dangerosité désormais avérée pour les entreprises, les économies et les sociétés européennes.

Le deuxième défi est celui de l'unité des Européens face aux agressions extérieures. Si les banques européennes sont coupables d'une chose, c'est, à l'instar des pays qui les hébergent, de ne pas avoir fait un front uni face au racket de l'administration Obama. Standard Chartered, BNP Paribas, ABN AMRO, HSBC, Deutsche Bank et leurs gouvernements et diplomaties respectives, quelles que soient leurs qualités, ne pèsent pas grand-chose face à une administration, hier américaine, demain russe ou asiatique, s'ils ne sont pas unis pour contrer les menaces. Qu'elles soient financières, militaires, économiques. Si le prix à payer pour accélérer l'unité politique de l'Europe se limite à ces quelques milliards de dollars, la leçon n'est pas si cher payée que cela.

Ce sera le premier défi de la Commission Juncker : accélérer la nécessaire unité européenne sur ces domaines stratégiques, en étant particulièrement vigilants à ne pas laisser la Grande-Bretagne dériver, comme elle le fait aujourd'hui, dans un inquiétant repli sur soi. La défaite de la position - pour le moins maladroite - de David Cameron, qui voulait empêcher la nomination de M. Juncker, ne doit pas se transformer en une humiliation. Le projet politique européen est voué à l'échec si la Grande-Bretagne - ou l'Angleterre, le pays de Galles et l'Irlande du Nord - le quitte. Le salutaire rappel de David Cameron du principe de subsidiarité (renationaliser des pans de décisions locales, aujourd'hui dévolues à une bureaucratie bruxelloise hors sol, les capacités militaires et diplomatiques britanniques, enfin la pratique démocratique libérale britannique sont des conditions sine qua non de la réussite de l'Europe au XXIe siècle. Le Conseil européen qui se réunit à Ypres doit non seulement sauver la face de David Cameron, mais aussi proposer aux Britanniques un rôle important dans la future Commission - tel celui qu'occupait Catherine Ashton. ? www.edouardtetreau.com

Edouard Tétreau

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