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Analyse

Merkel face au double défi du terrorisme et des réfugiés

En Allemagne aussi, les attentats du vendredi 13 novembre marquent une césure. Alors qu'Angela Merkel apparaissait ces dernières semaines affaiblie par la crise des réfugiés, cet épisode tragique lui offre à la fois l'opportunité de réaffirmer son leadership, et de conforter le couple franco-allemand.

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Par Thibaut Madelin

Publié le 20 nov. 2015 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Angela Merkel a été choquée par les attentats parisiens. « Nous avons derrière nous l'une des plus effroyables nuits que l'Europe ait connues depuis longtemps », a-t-elle déclaré le lendemain matin. Mais cet épisode tragique permet aussi à la chancelière allemande, qui fête dimanche ses dix ans à la tête de l'Allemagne, de reprendre momentanément le leadership qui lui était contesté pour la première fois dans son pays suite à la crise des réfugiés. « Face à la menace, c'est l'heure de l'exécutif qui sonne », estime Almut Möller, directrice du bureau berlinois du Conseil européen des relations étrangères (ECFR).

Aussi en Allemagne, le vendredi 13 novembre marque une césure. Deux jours avant, le ministre des Finances Wolfgang Schäuble, à qui la presse prête des intentions de putsch contre la chancelière, malgré ses 73 ans, comparait implicitement cette dernière à un « skieur négligent » qui aurait déclenché une avalanche (sous-entendu de réfugiés). Une semaine plus tard, mercredi dernier, l'Allemagne découvrait en direct l'ampleur de la menace terroriste avec l'annulation in extremis de la rencontre amicale entre la Mannschaft et les Oranje hollandais. Le « symbole de liberté » auquel la chancelière devait personnellement assister est devenu un symbole d'impuissance.

Ce climat de menace lui offre une bouffée d'oxygène. Sans lui, le congrès de l'Union chrétienne-sociale (CSU) auquel elle va ce vendredi aurait pu finir en pugilat pour Angela Merkel, qui a sérieusement décroché dans les sondages depuis le début de la crise des réfugiés. L'alliée bavaroise de la CDU est la plus critique de sa politique d'asile humaniste. Quand la chancelière a décidé, le 4 septembre, d'accueillir dans l'urgence des centaines de réfugiés bloqués en Hongrie, le patron de la CSU et ministre président de Bavière, Horst Seehofer, lui a reproché « une erreur, qui va longtemps nous occuper ». Mais depuis les attentats parisiens, il a resserré les rangs et refuse, par exemple, de faire le lien entre les réfugiés et le terrorisme.

Cette trêve pourrait cependant s'avérer de courte durée alors que 5.000 à 10.000 demandeurs d'asile continuent d'arriver chaque jour outre-Rhin. Les attentats terroristes ont mis le projecteur sur les failles du système de sécurité européen, qui aurait apparemment permis à certains auteurs des attentats de se faire passer pour des réfugiés en allant de Syrie vers la France ou la Belgique. « Malgré le contrôle aux frontières mis en place le 5 septembre, les contrôles sont absolument insuffisants », insiste-t-on au ministère de l'Intérieur de Bavière.

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Alors que l'Allemagne attend plus d'un million de demandeurs d'asile cette année, et que 50 % des Allemands estiment la limite atteinte (ZDF), le gouvernement a déjà commencé à restreindre sa politique d'asile. Il a ainsi défini les Etats des Balkans (Kosovo...) comme des pays dits « sûrs », dont les ressortissants n'ont pas besoin d'asile et doivent être refoulés. Par ailleurs, la décision du ministre de l'Intérieur Thomas de Maizière de réintroduire l'examen individuel des demandes d'asile de Syriens n'a pas été rejetée immédiatement par Angela Merkel qui n'avait pourtant pas été mise au courant.

Mais la chancelière se trouve confrontée à un test supplémentaire avec la demande d'assistance militaire de la France. Samedi dernier, elle a promis son soutien à Paris, mais sa volonté d'intervenir militairement en Syrie est à peu près aussi forte que celle de fermer les frontières allemandes... Pour Angela Merkel, l'Allemagne n'est pas en guerre. Sa ministre de la Défense Ursula von der Leyen a proposé à son homologue français Jean-Yves Le Drian un renforcement des forces allemandes au Mali pour soulager la France. Mais cet effort, déjà prévu avant les attentats, risque de ne pas satisfaire Paris.

Le couple franco-allemand est clairement mis à l'épreuve. Là où l'Allemagne se sent abandonnée dans la crise des réfugiés, la France se sent seule dans la lutte contre l'Etat islamique (EI). « Mais le débat évolue et l'Allemagne a compris qu'elle devait s'impliquer davantage dans les affaires internationales, insiste Almut Möller. Par ailleurs, Berlin a conscience de la vulnérabilité du projet européen. » Avec un modèle économique basé sur l'exportation, l'Allemagne aurait le plus à perdre d'une déliquescence de l'Union européenne et fera tout pour la sauver, juge-t-elle.

De fait, la proposition d'Ursula von der Leyen n'est pas son dernier mot. « L'Allemagne aura beaucoup de mal à participer à une offensive au sol en Syrie et ne doit pas être la 16e nation participant aux raids aériens, mais elle peut aider sur le plan logistique ou avec des avions de reconnaissance Tornado dans le cadre d'un mandat de l'ONU, reconnaît Roderich Kiesewetter, responsable des questions de politique extérieure du groupe parlementaire CDU-CSU. Par ailleurs, l'Allemagne pourrait faire plus en Irak » où elle forme et arme déjà des soldats kurdes (Peshmergas) qui se battent contre l'EI.

La question est sensible dans un pays traditionnellement pacifiste. Elle l'est encore plus dans le contexte de la crise des réfugiés, qui pourrait être accentuée par l'extension du conflit syrien. Mais alors que certains s'interrogent sur l'avenir d'Angela Merkel, elle lui donne l'occasion de déployer le leadership européen que ses électeurs ont apprécié dans la crise de l'euro ou le conflit ukrainien. « Sa capacité à modérer fait sa force en Europe et sa faiblesse en Allemagne », juge l'historien Herfried Münkler.

Les points à retenir

Sans les attentats de Paris, le congrès de l'Union chrétienne-sociale (CSU), auquel elle se rend ce vendredi aurait pu finir en pugilat pour Angela Merkel. L'alliée bavaroise de la CDU est la plus critique de sa politique d'asile.

La chancelière se trouve confrontée à un test supplémentaire avec la demande d'assistance militaire de la France.

Elle a promis son soutien à Paris, mais elle ne souhaite pas intervenir en Syrie.

Correspondant à Berlin Par Thibaut Madelin

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