Faut-il déchoir les terroristes de leur nationalité ? La question agite la classe politique française, alors que le gouvernement socialiste veut constitutionnaliser cette hypothèse, initialement défendue par le Front national.
À l’origine du débat, un projet de modification de la constitution par le gouvernement. Il vise à autoriser la déchéance de nationalité pour les terroristes qui disposent de deux nationalités, y compris les individus nés en France. Le gouvernement souhaite soumettre le projet au Parlement en février prochain. Mais à l’exception du Front national qui l’accepte bien volontiers, les partis politiques sont au mieux divisés, au pire très remontés contre l’hypothèse.
La déchéance pour tous plutôt que pour quelques-uns
L’idée déjà proposée en 2010 par Nicolas Sarkozy présente le défaut majeur de cibler une population spécifique : en France, la majorité des 8 millions de bi-nationaux ont un lien avec d’anciennes colonies françaises comme l’Algérie, la Tunisie et le Maroc, et sont souvent de religion islamique.
Pour éviter cette différence de traitement, certains socialistes ont proposé d’étendre la déchéance de nationalité à toute la population, potentiellement.
C’est ce qu’a proposé le chef de file des députés socialistes, Bruno Le Roux, qui estime que la solution serait la déchéance pour tous. Il espère ainsi convaincre une majorité plus large. Mais rien n’est moins sûr.
Une aberration en droit international
Car pour les spécialistes du droit international, l’idée de créer des apatrides, contre laquelle les organisations internationales tentent de lutter depuis la convention internationale de 1954, est une aberration.
Juridiquement, la France peut le faire, puisqu’elle n’a pas ratifié la convention de 1961 de l’ONU sur la réduction des cas d’apatridie, et avait à l’époque émis une réserve sur ce sujet. « Mais cette réserve n’est pas une objection ; et à partir du moment où le traité est signé, il s’’applique en droit international » observe Manuel Lafont-Rapnouil, directeur du think-tank ECFR à Paris.
Le droit à une nationalité, fondement de l’État de droit
Outre le débat juridique, la question est surtout politique : le droit à une nationalité est précisé dans l’article 15 de la déclaration universelle des droits de l’homme, signée en 1948.
Le texte avait alors été négocié, pour la France, par un ex-apatride et résistant, René Cassin, par ailleurs prix Nobel de la Paix. Il avait tenté sans succès d’inscrire dans le texte le principe de la disparition des apatrides. L’idée développée par la philosophe Hannah Arendt qu’un apatride « n’a pas le droit d’avoir des droits » avait été largement constatée au sortir de la Seconde guerre mondiale. Et c’est contre cela que la France luttait. « C’était ça, la position de la France » rappelle Manuel Lafont-Rapnouil.
Si le débat de fond est animé en France, la question s’est posée ailleurs en Europe, mais seuls les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont vraiment ouvert la voie à la création de nouveaux apatrides en envisageant de déchoir de leur nationalité des personnes ne disposant que d’une nationalité.
La transposition de la résolution 2178 de l’ONU sur les combattants étrangers (foreign fighters) a aussi donné lieu à des modifications juridiques, qui n’atteignent pas la déchéance de nationalité.
En Allemagne, les candidats potentiels au jihad peuvent se voir retirer leur carte d’identité pour 3 ans, en échange d’un document de substitution, qualifié de stigmatisant par Andra Vosshoff, commissaire aux données privées.
Au Royaume-Uni, des dizaines de citoyens britanniques se sont vu déchus de leur nationalité, soit au moins 53 depuis 2006, comme le rappelle le philosophe Patrick Weil dans Humanity Journal. Le spécialiste souligne que certains d’entre eux ont été tués par des attaques ciblées à l’étranger, sans que cela ne soulève de réaction dans l’opinion publique britannique. L’idée d’éliminer les candidats français au jihad avait été soulevée par Aymeric Chauprade en septembre 2014.
>>Lire : Un eurodéputé FN appelle à l’élimination des djihadistes français
À l’époque, son collègue Florian Philippot avait appelé à prendre des mesures dans le cadre de l’État de droit. Dont celle…de la déchéance de nationalité.
Pas de droit à la nationalité en Europe
Le droit à la nationalité n’est pas protégé en tant que tel en Europe. Il n’est pas évoqué par la Convention européenne des droits de l’homme. Selon la Cour européenne des droits de l’homme, l’article 8 de la convention, qui proclame le droit à la vie privée peut inclure un droit à la nationalité, puisqu’il n’y a pas de vie privée sans identité. La Cour pourrait donc être saisie du sujet si la constitution française était modifiée.
La question des apatrides reste néanmoins un sujet brûlant en Europe, notamment à la lumière de la crise des réfugiés. Le haut commissariat aux réfugiés avait d’ailleurs lancé, en 2014, une campagne pour la réduction du nombre d’apatrides, sous le hastag #J’Existe.
Au sein de l’UE, la plus grande communauté d’apatrides se trouve en Lettonie. Au nombre de 400.000, ces Russes de l’ex-URSS sont considérés comme des non-citoyens.
>>La Lettonie dénonce la propagande russe sur son territoire