Ça y est, Pékin a donné de la voix. Seule des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies à ne pas participer, directement ou indirectement, au conflit syrien, la Chine a reproché aux Russes et aux Américains, dans un éditorial du Quotidien du peuple publié le 13 octobre, de vouloir rejouer la guerre froide en Syrie. Allons, les sermonne l’organe du PC chinois dans le rôle du grand frère responsable, « nous sommes au XXIe siècle » !
Au XXe siècle, lorsqu’on parlait de l’URSS et des Etats-Unis, on disait « les deux grands ». Aujourd’hui, non seulement l’un des deux grands a beaucoup perdu de sa superbe, mais la cour des grands commence à se peupler. Il y a la Chine, bien sûr, qui ne cesse de le rappeler. Il y a aussi l’Inde, qui, elle, n’a pas vraiment donné de la voix sur la Syrie, préférant s’en tenir à de prudentes condamnations du terrorisme de tous bords. Cet attentisme est parfaitement révélateur de la position inconfortable dans laquelle se trouve l’Inde de Narendra Modi : un grand pays fier de son émergence, désireux d’être reconnu comme puissant, mais qui n’a pas encore tout à fait décidé ce qu’il veut faire de sa puissance.
Championne des non-alignés
Une semaine d’entretiens organisés à New Delhi et Bombay par le think tank European Council on Foreign Relations, auxquels Le Monde a participé, a permis de mesurer l’intensité des interrogations et de la réflexion en cours dans les cercles de politique étrangère à ce sujet. Après l’indépendance, en 1947, l’Inde s’était imposée dans l’ère post-coloniale comme la championne du mouvement des non-alignés. Aujourd’hui, dans le monde de l’après-guerre froide, elle aimerait bien à nouveau être championne – mais de quoi ? « Le XXIe siècle sera le siècle de l’Inde », proclame le charismatique premier ministre Modi. Peut-être, mais comment marquera-t-elle le siècle ?
Veut-elle transformer l’ordre mondial ou, simplement, améliorer son statut dans l’ordre existant ? Veut-elle privilégier le soft power, exploiter son image de plus grande démocratie du monde, berceau du yoga, génératrice de bataillons de génies de la high-tech et productrice de stars mondiales à Bollywood, ou bien veut-elle renforcer le hard power pour projeter sa puissance ? Quelle carte doit-elle jouer face à l’irrésistible ascension de l’autre géant d’Asie, la Chine ?
Pour les Indiens, le moment est propice à ces interrogations. Les grands équilibres géopolitiques sont en pleine évolution. Les « trente glorieuses » chinoises, trois décennies de très forte croissance économique, marquent le pas, alors que la dynamique indienne reste vigoureuse ; à long terme, la démographie de l’Inde est d’ailleurs plus favorable que celle de la Chine. Au pouvoir depuis mai 2014, Narendra Modi a réussi à changer l’image de l’Inde sur la scène internationale qu’il arpente inlassablement – près de 30 pays visités en moins de dix-huit mois – avec un discours optimiste, d’innovation et de volontarisme.
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