Chronique. Comment dégèle-t-on un conflit gelé ? En ouvrant un nouveau front, par exemple. C’est ce que vient de faire la Russie en arraisonnant, dimanche 25 novembre, trois navires ukrainiens au large de la Crimée après avoir ouvert le feu sur eux. Une opération tout ce qu’il y a de plus militaire, rondement menée par les hommes des services secrets russes FSB – aussi chargés de la surveillance des frontières –, qui s’est soldée par six blessés et vingt-quatre prisonniers côté ukrainien.
La suite est assez classique. La Russie accuse la marine ukrainienne d’avoir délibérément provoqué l’incident, sachant que ses navires seraient interceptés ; Kiev accuse Moscou d’agression caractérisée et souligne que ses trois navires ne se trouvaient pas, juridiquement, dans les eaux russes. Trois des marins ukrainiens faits prisonniers ont été exhibés à la télévision russe mardi, douze ont été condamnés à soixante jours de détention : là encore, le procédé est familier.
Voilà comment, cinq ans après le soulèvement de Maïdan, quatre ans et demi après avoir annexé la Crimée, puis déclenché dans la région frontalière de la Russie, le Donbass, une guerre que les experts appellent pudiquement « de basse intensité » mais qui a quand même fait 10 000 morts, Moscou a ouvert un troisième front dans son offensive contre l’Ukraine. Il s’agit cette fois, ni plus ni moins, d’annexer la mer d’Azov, bordée à la fois par l’Ukraine et la Russie et fermée par le détroit de Kertch, qui la sépare de la mer Noire.
Etouffer la région ukrainienne à petit feu
Cette évolution n’a pas surpris les observateurs attentifs de la situation à Mariupol, ville ukrainienne d’un demi-million d’habitants (dont 20 % de personnes déplacées) dont le port est situé sur la mer d’Azov. L’envoyé spécial du Monde, Benoît Vitkine, avait fourni une description détaillée, en octobre, de la manière dont l’étau russe se refermait sur les ports ukrainiens depuis la construction, illégale, du pont reliant la Crimée à la Russie, au-dessus du détroit de Ketch. Inauguré en mai par Vladimir Poutine au volant d’un camion, ce pont présente la particularité d’avoir juste ce qu’il faut de hauteur pour empêcher les navires de passer pour aller charger ou décharger dans les deux ports ukrainiens.
La stratégie est claire : étouffer la région ukrainienne à petit feu en l’empêchant de s’approvisionner et d’exporter par la mer, d’autant plus que, à cause des combats dans la zone de conflit au nord de Mariupol, l’aéroport local est fermé et l’accès par la route compliqué.
Il vous reste 58.75% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.