Histoire d’une notion. Ce sont des trous noirs sur la carte, adossés pour la plupart aux frontières occidentales et méridionales de la Russie. Ces entités sans aucune reconnaissance internationale sont le résultat de rébellions séparatistes attisées par Moscou, et de guerres figées depuis des années par des accords de cessez-le-feu mais restées sans solution. D’où leur qualification de « conflits gelés ». Les médias autant que les chancelleries les négligent jusqu’à ce que le réveil des combats ne vienne rappeler leur existence. L’offensive lancée le 27 septembre par les forces azéries contre l’enclave arménienne du Haut-Karabakh, indépendante de facto de Bakou depuis trente ans, a ainsi remis la notion sur le devant de la scène.
Le mot est apparu dans les années 1990 avec l’effondrement de l’Union soviétique. « Ce sont les diplomates occidentaux qui ont surtout employé cette expression car les Russes, eux, préfèrent celle de “conflit non résolu” », explique Marie Mendras, professeure à Sciences Po et spécialiste de la Russie et de l’espace post-soviétique. Aux plus belles heures de la guerre froide, kremlinologues et diplomates affectionnaient à propos des virages de la politique russe les métaphores sur le gel, le dégel, le regel.
« La meilleure analogie serait avec une rivière gelée, immobile en apparence, mais sous la couche de glace le courant reste toujours aussi fort » Brian Fall, ancien diplomate britannique
L’expression s’inscrit dans ce sillage. D’où son succès malgré son imprécision. Les « conflits gelés » ne le sont en effet jamais vraiment et ils conservent tout leur potentiel de déstabilisation. « La meilleure analogie serait avec une rivière gelée, immobile en apparence, mais sous la couche de glace le courant reste toujours aussi fort », aime à rappeler l’ancien diplomate britannique Brian Fall.
« En fait, ce sont les processus de résolution de ces conflits qui sont gelés, et non pas les conflits eux-mêmes, qui perdurent même si à basse intensité, pouvant reprendre à tout moment car les parties en présence continuent de s’armer et n’ont pas renoncé à leurs buts de guerre », analyse Nicu Popescu, professeur à Sciences Po et ancien ministre moldave des affaires étrangères.
L’exemple du Haut-Karabakh est à cet égard révélateur. La population, à écrasante majorité arménienne, de ce haut plateau n’avait jamais accepté le rattachement à l’Azerbaïdjan imposé en 1921 par le pouvoir bolchevik et son commissaire aux nationalités, Joseph Staline. En 1991, la région autonome proclame son indépendance et, après des mois de guerre, réussit à créer une continuité territoriale avec l’Arménie. Un cessez-le-feu, en 1994, gèle les lignes de front. Depuis, le Groupe de Minsk, créé deux ans plus tôt et coprésidé par la France, la Russie et les Etats-unis, tente sans succès de trouver une solution sous l’égide de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), organisation multilatérale héritée de la guerre froide.
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