Les deux dernières semaines furent marquées par des manifestations d'extrémisme de part et d'autre de cette ligne qui semble diviser l'Occident et le monde musulman. A Benghazi, des djihadistes ont assassiné l'ambassadeur américain et trois de ses collaborateurs. Inspirés par cet acte barbare, d'autres fanatiques ont alors pris pour cibles des ambassades américaines et européennes à travers le Moyen-Orient. Aussi, les auteurs de la pernicieuse vidéo qui est à l'origine de cette irruption de violence devaient se féliciter des débordements que leur œuvre malveillante provoquait dans le monde musulman.
Mais la plus belle réussite de cette dérangeante coalition qui prône l'incitation à la haine est sans doute le retour, en pleine campagne présidentielle américaine, de la thématique du "choc des civilisations", aussi bien dans les médias que dans les débats d'experts. Le printemps arabe a échoué, clament certains, soutenant que les successeurs des autocrates sont des islamistes nourrissants des sentiments antioccidentaux. Selon d'autres, instaurer la démocratie dans des pays où la liberté d'expression est si peu respectée, serait un projet illusoire. Leur conclusion : cessons de demander pardon et défendons les "valeurs occidentales" face à leurs détracteurs.
Cependant, de tels raisonnements nous renseignent plus sur leurs propres auteurs que sur la réalité du monde actuel. Il faut reconnaître que les islamistes ont clairement été battus aux dernières élections libyennes. Quant aux Etats-Unis, ils restent l'un des tout derniers pays occidentaux dans lesquels la liberté d'expression n'est pas encore restreinte par une loi condamnant l'incitation à la haine.
Dans une récente analyse des relations entre l'Europe et les pays d'Afrique du Nord, nous avions insisté sur l'opportunité historique que représente le printemps arabe pour bâtir une nouvelle relation entre les deux rives de la Méditerranée. La réussite des transitions démocratiques en Afrique du Nord serait doublement bénéfique à l'Europe. D'un point de vue économique d'abord, car les sociétés fermées et autocratiques feraient place à des sociétés plus ouvertes et dynamiques. En second lieu, d'un point de vue stratégique, la consolidation de démocraties stables en Afrique du Nord faciliterait la résolution de problèmes régionaux très sensibles et fournirait surtout à l'Europe l'occasion d'un nouveau départ avec le monde arabo-musulman.
Au lieu de la vieille approche, consistant à soudoyer les autocrates afin de s'assurer que leurs populations assujetties et le facteur religieux soient gardés à bonne distance, nous préconisons au contraire une coopération plus poussée. Une coopération sur le plan économique, mais aussi, et surtout, sur le plan politique.
Depuis sa création, l'Union européenne (UE) a toujours préféré utiliser le commerce et l'aide au développement comme principaux outils diplomatiques. De cette façon, l'UE s'est rapprochée de ses voisins, les a façonnés à son image, avant de les accueillir en son sein. Cette approche ne fonctionnera pas avec les pays d'Afrique du Nord. Ces derniers n'ont aucune "vocation à rejoindre l'Union européenne", et ce d'autant plus qu'en temps de crise économique l'Europe manque de moyens financiers et se montre réticente à ouvrir ses marchés. L'Europe doit donc s'appuyer sur d'autres atouts, tant politiques, que diplomatiques et militaires.
L'Union doit en particulier donner un nouveau souffle à l'intégration intra-régionale en Afrique du Nord. Les nouveaux gouvernements en place au Maghreb sont conscients qu'un partenariat constructif avec leurs voisins immédiats atténuerait leurs problèmes économiques et sécuritaires pressants. L'UE est donc bien placée pour les aider à renforcer les institutions ou encore à élaborer de grands projets communs comme celui de développer la production et l'exportation d'énergie solaire. Aussi, si les européens apportaient leur expertise militaire pour combattre l'instabilité au Sahel, ils pourraient se positionner comme un partenaire clé de la réforme du secteur de sécurité auquel tous les nouveaux gouvernements de la région sont confrontés.
C'est en premier lieu aux peuples d'Afrique du Nord que revient la responsabilité de travailler au redressement de leur région, tout comme le renversement des dictateurs fut accompli grâce à leurs propres efforts. Mais les européens se doivent d'offrir leur soutien, en particulier à un moment aussi critique où le résultat est encore incertain. Les prochaines années pourraient conforter l'opinion de ceux qui préfèrent penser que l'Islam et la démocratie sont difficilement réconciliables. Mais une telle issue constituerait un revers considérable pour l'Europe comme pour les peuples d'Afrique du Nord. Il serait imprudent et prématuré de donner raison par avance aux extrémistes.
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