Mathieu Duchâtel, sous-directeur du programme Asie du European Council on Foreign Relations (ECFR) et spécialiste des questions de sécurité en Asie orientale, analyse le tir de fusée annoncé par Pyongyang le 7 février. Présenté par le régime nord-coréen comme un lancement de satellite, ce tir a été jugé par le Conseil de sécurité de l’ONU comme un test de « la technologie des missiles balistiques », contribuant « au développement par le Nord de vecteurs d’armes nucléaires », un mois après un quatrième essai nucléaire.
Quelle est la logique de ce tir sur la scène politique intérieure nord-coréenne ?
Le calendrier est très spécifique. Symboliquement, l’anniversaire de la naissance de Kim Jong-il, le 16 février, approche. Par ailleurs, en mai se tiendra un important congrès du Parti des travailleurs. Quand Kim Jong-un y présentera son rapport de travail, il pourra mettre en avant les progrès du nucléaire. Il suit la ligne du « Byungjin », le « développement parallèle » de l’économie et de la dissuasion.
Le pays alterne les phases entre ces deux priorités. Ces deux derniers mois, le développement du nucléaire domine clairement. Tout le monde sait que le tir de fusée est un essai de missile balistique déguisé.
La Corée du Nord craint-elle de nouvelles sanctions ?
Il y a une nette divergence sino-américaine quant aux sanctions. Les Etats-Unis ont déjà fait circuler un modèle de résolution imposant un contrôle renforcé aux frontières et davantage de restrictions sur les transactions financières.
Les sanctions qui ont touché la Corée du Nord ont jusqu’à présent été d’ordre ciblé, restreintes à l’armement, aux produits de luxe et à certains individus proches du gouvernement. C’est le résultat de l’influence chinoise car les Etats-Unis, la Corée du Sud ou le Japon auraient préféré une pression totale. Mais la Chine argue de raisons humanitaires car un embargo total serait lourd de conséquences.
Sur le plan de la technologie nucléaire, la Corée du Nord parvient à avancer avec très peu d’apports extérieurs. Elle souffre toutefois dans son développement de pénurie d’énergie et de capitaux étrangers. Elle peine à régler ces difficultés sous sanctions.
L’essai nucléaire de janvier puis le tir de fusée de dimanche ne sont-ils pas le signe de l’échec de la Chine à dissuader ce voisin perturbant ?
Le tir tombe en plein Nouvel An lunaire, période de repos pour les Chinois, et moins d’une semaine après le passage à Pyongyang de Wu Dawei, représentant chinois sur les affaires coréennes. On peut imaginer que cette visite s’est très mal passée. La question de l’influence de la Chine sur le dossier du nucléaire nord-coréen se pose depuis plus de dix ans. La Chine a tenté la pression, le dialogue, le soutien économique lorsqu’elle a craint la chute du régime.
Après le troisième essai nucléaire (en 2013), la politique chinoise a changé, sous Xi Jinping. Il n’y a pas eu depuis de visites au niveau des chefs d’Etat et la Chine a accepté davantage de sanctions.
On peut se demander si la Chine n’est pas entrée dans une nouvelle phase. Elle va expliquer avoir tenté de limiter ses liens avec le Nord mais que ça n’a pas fonctionné tandis que les Etats-Unis vont lui demander de l’isoler. Les Chinois refusent de se faire sous-traiter la politique étrangère américaine.
S’il y a une chose que la Chine ne veut pas voir, ce sont des essais. Ça ne l’arrange vraiment pas car cela pousse la Corée du Sud à demander davantage aux Etats-Unis pour sa défense. Le Japon aussi est plus actif, le tout dans un contexte stratégique qui se détériore.
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu