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Elections européennes 2019
Agathe Dahyot / Le Monde

26 pays, 56 listes et autant de nuances : la carte d’Europe des souverainistes

Par  (avec Pierre Breteau)
Publié le 21 mai 2019 à 20h53, modifié le 22 mai 2019 à 16h50

Temps de Lecture 15 min.

La France insoumise, le Vlaams Belang belge, les souverainistes croates ou encore le Bloco portugais ont un dénominateur commun : leur critique virulente de l’Union européenne et leur préférence pour une Europe des nations (souveraines) plutôt que pour une Europe fédéraliste.

Marine Le Pen, la présidente du Rassemblement national (RN), s’est livrée lors d’un « banquet patriotique » à Metz, le 1er mai, à une violente charge contre l’Union européenne, selon elle, « impériale, hégémonique et totalitaire », un argument maintes fois répété et dont elle n’a pas le monopole.

De nombreux partis en Europe, réunis dans 56 listes et répartis dans 26 des 28 Etats membres (incluant le Royaume-Uni qui vote jeudi 23 mai, n’ayant toujours pas réussi à trouver d’accord de sortie) s’unissent en effet derrière la bannière d’une révolte contre le prétendu autoritarisme de Bruxelles.

Selon plusieurs sondages (Poll of polls ou Kantar, que nous utilisons dans la carte ci-dessous), un parti souverainiste ou eurosceptique est donné en tête dans plusieurs pays européens : la Ligue de Salvini en Italie, Droit et justice en Pologne, la Nouvelle Alliance flamande en Belgique et le Fidesz en Hongrie… Ailleurs, ces partis sont en très bonne position, comme le FPÖ en Autriche ou le RN en France.

Aussi différents soient-ils, les partis eurosceptiques sont, cependant, « en bonne voie pour devenir le deuxième plus grand groupe politique au Parlement », avertissait en avril le Conseil européen des relations internationales. « Les partis antieuropéens constituent un groupe multiforme, issu de l’extrême droite et de l’extrême gauche, dont les politiques et les priorités sont le plus souvent ancrées dans leur politique nationale. Leur capacité à travailler ensemble en tant que groupe est loin d’être prouvée », nuançait le centre de recherche proeuropéen.

Mais, s’ils obtenaient plus d’un tiers des sièges et arrivaient à se mettre d’accord sur certains dossiers, l’Europe pourrait voir sa sécurité et sa défense compromises « en affaiblissant l’OTAN et en exigeant une réponse nationale, plutôt qu’européenne, aux menaces économiques posées par la Chine et les Etats-Unis », liste notamment le think tank.

Le contre-exemple du Brexit

L’exemple britannique semble avoir fait réfléchir les partis qui militaient en faveur d’une sortie de l’Union européenne. Le parti de Marine Le Pen a délaissé l’idée d’une sortie de l’UE et de la zone euro, préférant la piste d’une refonte par l’intérieur et laissant le Frexit au candidat des Patriotes, Florian Philippot (qui fut, lorsqu’il était au RN, l’un des artisans de la ligne « dure » anti-UE), et de l’UPR, François Asselineau.

De la Scandinavie à l’Italie, la majorité des partis souverainistes a enterré l’idée d’une sortie de l’Union européenne, du moins à court terme. L’AfD allemande (Alternative pour l’Allemagne), qui avait d’abord envisagé faire une campagne offensive, cette année, sur le thème du « Dexit » – l’équivalent allemand du Brexit – a finalement opté pour une position « neutre » sur cette question.

Alors qu’il y a quelques années, le Jobbik hongrois brûlait publiquement le drapeau européen, le parti ne souhaite plus désormais sortir de l’UE. En Italie, la Ligue et le Mouvement 5 Etoiles, qui sont arrivés au pouvoir à la faveur des dernières élections, se contentent d’affirmer que l’Europe va changer de direction, et que la victoire des forces souverainistes en Europe mettra fin à l’austérité.

La tentation souverainiste de la gauche radicale

Dans la bataille des européennes, la gauche radicale use elle aussi d’une certaine ambiguïté. En Suède, le Parti de gauche estime ainsi qu’il n’est plus « approprié que nous poursuivions maintenant la question du retrait de l’UE. Les élections au Parlement européen ne portent pas sur l’adhésion de la Suède à l’Union européenne, mais sur le type de coopération à rechercher ».

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Le « texte programmatique » de La France insoumise incarne bien cette nouvelle sorte d’euroscepticisme : il faut « faire respecter la souveraineté des peuples » et « sortir des traités européens actuels », mais sans sortir de l’Union. C’est la stratégie des « plan A » – « sortie concertée des traités européens » et « négociation d’autres règles » – et « plan B » – « sortie des traités européens unilatérale par la France » – en cas d’échec de la première méthode. Ce qui signifierait de facto quitter l’UE, si tous les traités étaient dénoncés, mais que la tête de liste des « insoumis » Manon Aubry résume plus modestement comme la volonté de s’affranchir de certaines règles.

Une ambiguïté que l’on retrouve chez les communistes de plusieurs pays : malgré un ADN « internationaliste », ils ont pour la plupart voté contre les grands traités européens (Maastricht en 1992, le traité constitutionnel en 2005…) qu’ils jugent trop libéraux. Au Danemark, qui a déjà obtenu un traité sur mesure, sans l’euro et sans participation à la politique de défense, l’Alliance rouge-verte, formation issue de l’ancien Parti communiste, demande un référendum sur un retrait de l’UE, considérée comme un groupement d’intérêts capitalistes.

Mais, une fois au pouvoir, la ligne peut s’infléchir… Un parti se revendiquant de gauche radicale comme Syriza a fini par accepter une restructuration de la dette grecque – un désaveu, selon certaines formations grecques, qui lui reprochent d’avoir renoncé à s’émanciper du joug de Bruxelles. En Espagne, Podemos souhaite que « les peuples reprennent le pouvoir », un vœu assez flou si on le compare à son programme collaboratif de 2014, où il voulait redéfinir la souveraineté en révoquant le traité de Lisbonne, en retirant l’Espagne de certaines zones de libre-échange et en promouvant le référendum pour toutes les réformes constitutionnelles majeures.

Lire : Article réservé à nos abonnés La Grèce, berceau de la crise démocratique en Europe

Le patriotisme économique de l’Europe centrale

La crise économique est un puissant carburant pour l’essor de nouveaux souverainismes… y compris dans des pays où l’Union européenne pourrait être considérée comme une ouverture après des années sous la tutelle de Moscou. Or, les pays d’Europe centrale, où les courants nationalistes mêlent promesses sociales et patriotisme économique depuis la crise de 2008, sont presque tous gouvernés par des partis souverainistes, depuis la coalition mêlant droite et extrême droite en Autriche – qui vient de voler en éclats – à la Bulgarie, où le gouvernement conservateur repose sur une coalition avec les nationalistes des Patriotes unis, en passant par la République tchèque.

A Prague, le milliardaire Andrej Babis, surnommé le « Trump tchèque », a pris la tête du gouvernement fin 2017. Une victoire qui n’empêche pas la multiplication des revendications nationalistes : la République tchèque voit ainsi se présenter outre le leader Liberté et démocratie directe, des partis tels que Oui, effaçons le Parlement européen, Pour la Tchéquie, Démocratie nationale et raisonnable – Stop aux migrants et non à l’euro, Parti pour l’indépendance de la République tchèque, le Mouvement de la terre morave, Souveraineté tchèque…

Même s’ils sont de nature très différente d’un pays à l’autre, tous ces partis souverainistes prétendent défendre la souveraineté du peuple (du pays ou d’une région de celui-ci) contre le « carcan » de la démocratie libérale imposé par Bruxelles, discours qui vient remplacer l’antienne anticommuniste des années 1990. Repli protectionniste et accents populistes des discours europhobes prospèrent sur les inégalités apparues ces trente dernières années, les fruits des politiques d’ouverture et de privatisation n’ayant pas été – loin s’en faut – partagés équitablement dans ces pays.

La coloration identitaire et culturelle des discours europhobes est, en outre, allée en s’intensifiant : en neuf ans, le premier ministre hongrois Viktor Orban a radicalisé son discours, jusqu’à être suspendu du Parti populaire européen. La crainte de la perte des traditions et des valeurs est, en effet, alimentée par un autre dénominateur commun de ces souverainistes d’Europe centrale : le rejet des migrants, dont l’accueil est considéré comme imposé par Bruxelles. Une peur de l’invasion à laquelle plusieurs partis doivent d’être au pouvoir, comme les Polonais de Droit et justice (le PiS)… quand bien même le pays accueille le moins d’étrangers de toute l’Europe, proportionnellement à sa population.

Des difficultés qui se profilent déjà

Au-delà d’un dénominateur commun souverainiste, comment les forces eurosceptiques ou eurocritiques peuvent-elles peser ? Car cette identité même porte en son sein une « préférence nationale » qui rend incompatibles, ou du moins improbables, certaines alliances. Même chez les souverainistes de droite, il sera difficile de s’entendre après les élections. En attendant, la plupart guettent les résultats du scrutin pour prendre des positions plus tranchées.

Par ailleurs, point qu’oublient volontiers les partis en campagne, le pouvoir des eurodéputés est limité. Par exemple, ils ne peuvent engager seuls une révision des traités : l’unanimité des Etats étant indispensable. Ce qui rend compliqué le « plan A » des « insoumis » ou la sortie de Schengen promise par le RN… zone à laquelle les élus de l’Est sont par ailleurs très attachés, en tant que pilier du marché unique.

Gauche radicale
Autres
Conservateurs
Droite nationaliste et souverainiste
Extrême droite
Cartographie et développement : Pierre Breteau
Détails par pays membre
Méthodologie. Populisme, illibéralisme, antisystème… Certains concepts sont aussi récurrents qu’insaisissables. En France, ils sont très utilisés par les partisans de La République en marche pour critiquer leurs principales oppositions, de gauche comme de droite. Pourtant, « le macronisme a une composante populiste, dans sa façon de dénigrer les corps intermédiaires, de s’en prendre à la presse, dans son rapport compliqué, aussi, au parlementarisme », juge l’ancien chef du service Politique, actuellement correspondant du Monde à Berlin, Thomas Wieder. Aussi, dans cet exercice de décryptage des programmes, nous en tenons-nous à un point de bascule factuel : le souverainisme. Défini en opposition au « fédéralisme », il dérive d’une vision protectionniste et nationaliste des Etats membres. Ce concept recoupe en grande partie l’euroscepticisme, mais peut se décliner différemment selon la position du parti sur l’échiquier politique : à l’extrême droite, il s’agit de protéger les frontières nationales et de lutter contre l’immigration ; à l’extrême gauche, on s’attache à refuser une Europe capitaliste. La typologie des différents partis est celle du Monde, inspirée du travail du média spécialisé Contexte. Les projections des résultats sont celles de l’institut de sondage Kantar, sauf pour la Belgique (Poll of polls, qui ne donne qu’un chiffre pour les parties francophone et flamande).

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