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Et la mondialisation s'invita dans le couple

De Washington ou de Pékin, on ne regarde pas "le couple franco-allemand", on regarde l'Union européenne, et sur cette carte vue de loin, Berlin est le point le plus gros. C'est la réalité de 2013.

Publié le 21 janvier 2013 à 13h46, modifié le 22 janvier 2013 à 13h41 Temps de Lecture 4 min.

Pour des raisons de politique intérieure, Paris exige que l'audiovisuel soit sorti des discussions entre l'Europe et les Etats-Unis.

Tandis qu'Angela Merkel et François Hollande célèbrent, tièdement mais consciencieusement, les 50 ans du traité fondateur d'un partenariat unique au monde, à 10 000 km de là, deux grandes puissances se disputent un petit groupe de rochers en mer de Chine. Elles y consacrent une énergie considérable, une bonne partie de leur capital politique et une quantité non négligeable de ressources militaires.

Entre Pékin et Tokyo, pas un jour ne passe sans roulements de tambour. Navires de guerre et avions de chasse des deux pays patrouillent dans la zone, le premier ministre japonais cherche activement des appuis parmi ses voisins d'Asie du Sud-Est (eux-mêmes en délicatesse avec la Chine à propos d'autres îlots), les Etats-Unis, inquiets, dépêchent un émissaire pour tenter de calmer le jeu. Les dirigeants de Toyota ou de Honda se tordent les mains de désespoir en regardant leurs ventes s'effondrer sur le plus grand marché automobile mondial.

Ces patrons de constructeurs automobiles lisent-ils la presse européenne en ce début d'année ? Si c'est le cas, ils cesseront un moment de se tordre les mains pour se frotter les yeux, tant l'acrimonie de nos commentaires sur la relation franco-allemande leur paraîtra incongrue. Les Asiatiques, tout particulièrement les Chinois et les Japonais, qui n'ont jamais réussi à solder le passif de la seconde guerre mondiale, regardent avec envie la manière dont les Européens, tout particulièrement les Allemands et les Français, non seulement vivent ensemble mais construisent, patiemment, un projet commun. Pour ce transfert de technologie-là, ils seraient prêts à payer très cher.

Inutile de chercher cette envie sur les bords du Rhin. La chancelière allemande et le président français, donc, "fêtent" l'anniversaire du traité de l'Elysée parce qu'ils ne peuvent pas faire autrement - ce qui est déjà, en soi, une bonne chose. Angela et François n'ont pas d'atomes crochus, la langue de bois de leurs entourages respectifs ne cherche même pas à le cacher. Les temps sont durs, la crise de l'euro a laissé des traces. Ni "couple", ni "moteur", ni "je t'aime, moi non plus" : ce tandem-là, ce n'est pas la passion qui l'étouffe. Ils sont tous deux, et avant tout, des politiciens.

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So what - puisque c'est notre langue commune ? Merkel et Hollande ne sont pas Adenauer et de Gaulle. Ni même Kohl et Mitterrand. Et 2013 n'est pas 1963.

Entre 1963 et 2013, le monde, et donc la France et l'Allemagne, ont connu quelques menus bouleversements. Un continent est sorti de la colonisation. L'URSS a coulé, ses chimères avec elle. La guerre froide a pris fin. L'Allemagne s'est réunifiée. Le deutschemark a disparu. L'euro est né. La mondialisation a transformé la dynamique économique de la planète. La Chine est devenue la deuxième puissance économique mondiale.

Les deux pays ont réagi différemment. La réunification de la RFA et de la RDA, l'absorption par l'Ouest des 17 millions d'habitants de l'Est et ses conséquences économiques ne pouvaient pas ne pas modifier la relation franco-allemande. De facto, l'Allemagne est devenue le géant de l'Europe unie. Et l'élargissement de l'Union européenne a donné à l'Allemagne un rôle encore plus central : sur sa frontière ouest, la France, sur celle de l'est, la Pologne.

Les grosses difficultés de l'économie allemande ont masqué, dans un premier temps, ce changement de nature. On l'a déjà oublié, mais il y a seulement dix ans, l'Allemagne était "l'homme malade de l'Europe". C'est à ce moment-là que les Allemands ont eu leur débat sur la compétitivité, à l'issue duquel Gerhard Schröder a lancé le programme de réformes structurelles dont Angela Merkel a recueilli les fruits. Parfaitement adapté au contexte de la mondialisation, le modèle d'exportation allemand a hissé le pays au niveau d'aujourd'hui.

La France, elle, a emprunté une autre voie, comme l'explique Henrik Uterwedde dans un ouvrage collectif récemment publié par l'Institut français des relations internationales et les presses universitaires de Bordeaux, Les Relations franco-allemandes dans une Europe unifiée. Plus réticente face à la mondialisation, plus sensible à la pression sociale, elle a reporté les ajustements structurels. Au cours des dix dernières années, l'écart s'est creusé entre les deux économies, allemande et française. Les Français ont à leur tour leur débat sur la compétitivité, avec Louis Gallois dans le rôle de l'aiguillon. Et à leur tour, ils prennent le tournant des réformes - pas assez vite au goût de Mme Merkel, mais ils le prennent. "Les gens doivent comprendre que la France est un animal particulier, confiait en décembre 2012 l'ancien PDG d'EADS au New York Times. Nous pouvons être plus favorables aux affaires, mais à condition que la justice soit assurée pour chacun."

Dans le monde globalisé, où, relève Mark Leonard, directeur du European Council on Foreign Relations, "le géoéconomique prime sur le géopolitique", l'Allemagne pèse plus lourd que la France. De Washington ou de Pékin, on ne regarde pas "le couple franco-allemand", on regarde l'UE et, sur la carte de l'UE vue de loin, Berlin est le point le plus gros. C'est la réalité de 2013 - elle n'est pas immuable. La France, elle aussi au centre, entre l'Europe du Sud et l'Europe du Nord, joue sur un autre registre, avec d'autres atouts. Oui, elle aurait apprécié le soutien de l'Allemagne en Libye et, aujourd'hui, au Mali. Mais l'Allemagne est, aussi, un animal particulier.

Pourtant, dit l'ancien ministre Hubert Védrine, "il n'y a pas de substitut, ni franco-britannique ni germano-polonais", à la relation franco-allemande. Condamnées à s'entendre si l'Europe doit avancer, l'Allemagne et la France sont deux pays très différents, d'où l'idée, aussi, d'organiser leur indispensable partenariat par un traité, un cadre contraignant qui les oblige à travailler ensemble. Que leurs dirigeants politiques actuels trouvent parfois ce partenariat lourd à entretenir, c'est possible, mais qu'ils l'affichent est indigne. Profitant de l'Europe, leurs concitoyens, eux, ont appris à vivre et à travailler ensemble et se voient de plus en plus : un jeune Allemand sur deux déclare parler français. Il leur arrive même de faire des journaux ensemble !

kauffmann@lemonde.fr

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