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Quatre scénarios et un enterrement

En matière d'humour, les Britanniques restent les meilleurs. Même sur l'Europe - et Dieu sait qu'en ce moment, pour faire sourire sur l'Europe, il faut se lever tôt.

Publié le 26 novembre 2011 à 14h30, modifié le 26 novembre 2011 à 14h30 Temps de Lecture 4 min.

En matière d'humour, les Britanniques restent les meilleurs. Même sur l'Europe - et Dieu sait qu'en ce moment, pour faire sourire sur l'Europe, il faut se lever tôt. Flamboyant historien de l'économie, passé d'Oxford à Harvard via New York University, Niall Ferguson est, de toute évidence, un lève-tôt ; il a relevé le défi dans un texte très drôle, publié le 19 novembre par le Wall Street Journal, dans lequel il imagine l'Europe dans dix ans, en 2021. Le résultat, un chef-d'oeuvre de la vision britannique de l'idée européenne, mérite qu'on s'y attarde quelques instants.

La "nouvelle Europe" de Niall Ferguson s'appelle les Etats-Unis d'Europe. Ils ont été créés par le traité de Potsdam de 2014, sur les ruines de l'ancienne Union européenne. Certains Etats membres ont repris leur liberté : la Grande-Bretagne et l'Irlande, ressoudés dans un "Royaume-Réuni de Grande-Bretagne et d'Irlande", et les pays scandinaves, beaucoup plus heureux ensemble dans leur nouvelle "Norse League". La monnaie de la nouvelle Europe est l'euro, sa capitale n'est plus Bruxelles mais Vienne, son président s'appelle Karl von Habsburg. Vous l'avez compris : cette Europe-là est placée sous la férule de l'Allemagne, qui finance, par le tuyau des fonds fédéraux, les déficits des pays du Sud. Les Allemands, qui ont tous leur résidence secondaire dans ces pays du Sud où le taux de chômage stagne autour de 20 %, s'y retrouvent, finalement. Les Grecs font d'excellents jardiniers et les Italiennes de délicieuses cuisinières, le tout au noir et bon marché, quand arrive la belle saison. Les bons élèves que sont les Polonais et les Baltes suivent, eux, sagement, la voie germanique.

La prophétie de Milton Friedman ne s'est donc pas réalisée. Du moins, pas tout à fait. Le Prix Nobel d'économie jurait, en 1996, que la monnaie unique européenne ne verrait pas le jour, "en tout cas pas de (son) vivant". Il est mort en 2006, sept ans après la naissance de l'euro. Il expliquait qu'une monnaie unique sans union politique était une aberration : il n'a pas vécu assez longtemps pour voir que les événements lui donneraient en partie raison. "L'unification politique doit précéder la fusion monétaire, et non pas en être la conséquence", assurait-il au Figaro en 1997. C'est pourtant parce que l'euro affronte aujourd'hui la plus grave crise de son existence que l'union politique devient inévitable : soit l'euro se désintègre, soit on lui donne les moyens de devenir une vraie monnaie unique, gérée par un gouvernement économique.

L'heure est si grave et la situation si désespérée que tout ce que l'Europe compte d'esprits un tant soit peu pro-européens, de cabinets d'études et d'officines de prospective est engagé dans un gigantesque brainstorming pour tenter de répondre à la question lancinante : comment sauver l'Europe ? Ou, dans sa version plus positive : comment réinventer l'Europe ? Et de ces séances, souvent douloureuses, de prises de tête communes, ressortent quelques intéressants scénarios, plus réalistes que celui de Niall Ferguson.

A l'issue, par exemple, de deux jours de discussions menées à Varsovie avec plusieurs dizaines de chercheurs, parlementaires, hauts responsables et quelques financiers, dont George Soros, Mark Leonard, directeur du European Council on Foreign Relations, offre, lui, dans un essai tout juste rendu public, quatre scénarios "pour la réinvention de l'Europe".

L'intégration asymétrique. C'est l'approche graduelle, sans modification de traité, en s'appuyant pour avancer sur le Conseil européen, organe intergouvernemental, c'est-à-dire en court-circuitant la Commission et le Parlement européens. Cette option donne un poids prépondérant à Berlin.

Une zone euro réduite, plus intégrée et plus homogène, sans les mauvais élèves. Une sorte de club des pays AAA. Mais, outre que les traités ne prévoient pas de possibilité de quitter l'euro, cette option pourrait sonner le glas de l'Union européenne, qui s'en trouverait totalement fragmentée.

L'union politique, en modifiant le traité de Lisbonne. C'est le grand bond en avant. Il s'agit de formaliser les initiatives intégratrices prises depuis deux ans, sur le plan budgétaire et économique. Ce scénario comporte plusieurs variantes, allant de l'"union de stabilité" à l'"union fiscale", avec la création d'un poste de ministre des finances de l'eurozone. L'union politique pourrait avoir comme exécutif un président de la Commission élu au suffrage universel, et un Parlement européen doté du pouvoir d'initiative législative.

Le "fédéralisme sans les fédéralistes". C'est l'Europe à deux vitesses, chère à l'ancien ministre allemand des affaires étrangères, Joschka Fischer, avec une "avant-garde" constituée de l'Eurogroupe et une "arrière-garde" regroupant les autres Etats membres. Le problème est que les institutions les plus intégratrices, comme la Commission, le Parlement européen et la Cour européenne de justice, seraient à l'extérieur du groupe moteur, de même que des pays très pro-européens comme la Pologne, qui n'ont pas encore pu adopter l'euro.

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Beaucoup des autres idées qui émanent de ce salutaire débat européen cherchent à remédier à l'insuffisance démocratique et à la nécessité de reconnecter l'Europe avec ses citoyens. Charles Grant, du Center for European Reform, suggère d'élire directement les commissaires européens, qui formeraient un gouvernement dirigé par le président de l'Europe. Michel Barnier, commissaire chargé du marché intérieur, pense que le président de la Commission et celui du conseil européen ne devraient faire qu'un, une idée qui progresse, ainsi que son corollaire, l'élection au suffrage universel. D'autres songent à une meilleure représentation des parlements nationaux.

Tous travaillent à plus d'Europe, plus de leadership, plus de démocratie... pas à plus d'Allemagne, un déséquilibre que les responsables allemands sont les premiers à redouter.

C'est là, sans doute, que Niall Ferguson fait mouche. Sur un autre point, pourtant, ce natif de Glasgow pêche par optimisme : certains de ses compatriotes parient, contrairement à lui, sur une sécession de l'Ecosse et du Royaume-Uni, et sur son adhésion à l'UE. Juste quand le Royaume-Uni en sortira.


kauffmann@lemonde.fr

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