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L'énigme du pouvoir chinois

Le congrès du PCC, qui s'ouvre jeudi, offre l'occasion, rare, de dissiper l'opacité de l'Etat-parti et de son fonctionnement, explique François Godement, directeur pour la stratégie de l'Asia Centre.

Par François Godement, directeur pour la stratégie de l'Asia Centre

Publié le 05 novembre 2012 à 13h11, modifié le 08 novembre 2012 à 12h33

Temps de Lecture 7 min.

Le président sortant, Hu Jintao, et son prédécesseur, Jiang Zemin, le 8 novembre à Pékin.

La Chine est la deuxième puissance globale. Ses dirigeants intéressent le monde entier. Or, ce n'est pas une élection qui détermine son avenir, mais un conclave fermé. Le 18e congrès du Parti communiste chinois (PCC), qui s'ouvre le 8 novembre, renouvellera une majorité des dirigeants du Parti, à commencer par son instance suprême, le comité permanent du bureau politique ; sept de ses neuf membres sont atteints par une limite d'âge coutumière.

Le congrès survient après trois années d'oscillations de la politique étrangère chinoise et du climat politique intérieur et au milieu d'interrogations sur la poursuite d'une croissance déséquilibrée. La gouvernance chinoise a des ratés : l'annonce du congrès a été retardée de quelques semaines, et elle a confirmé la purge de Bo Xilai, un dirigeant charismatique et ambitieux. A eux seuls, ce retard et cette annonce couplée signalent une tension politique au sommet. La disparition, pendant quinze jours avant cette annonce, de Xi Jinping, le successeur probable du président Hu Jintao, a alimenté toutes les rumeurs et reste inexpliquée.

Le congrès concentre aussi tous les regards parce qu'il est l'événement rituel le plus important du pouvoir chinois. De plus en plus diversifié à mesure que la Chine acquiert la puissance et la richesse, ce pouvoir procède pourtant du coeur léniniste du système. Il ne réside donc pas à l'Assemblée nationale populaire, qui ne se réunit qu'une fois par an. Certes, le PCC a diversifié son idéologie. A Mao et au marxisme-léninisme originels, parfois cités, parfois oubliés, se sont ajoutés les préceptes de Deng Xiaoping, le père de la réforme économique chinoise, qui a maintenu l'autoritarisme politique. Ses successeurs ont eux aussi voulu imprimer leur marque. C'est lors des congrès que les dirigeants ont une chance de passer à la postérité, en faisant adopter leurs idées dans la résolution finale ou, mieux encore, dans une nouvelle constitution du parti.

LUTTE INTERNE

Cet éclectisme n'est pas synonyme d'aggiornamento. On en jugera par le statut de Mao. Son portrait orne toujours la place Tiananmen, sous la tribune des dirigeants, mais, depuis 2007, leur image n'est plus jamais associée à ce portrait. Non seulement le premier ministre, Wen Jiabao, a dénoncé, en mars, le risque d'une "nouvelle révolution culturelle" en mettant en cause Bo Xilai, mais les médias officiels lèvent parfois un coin du voile : ainsi le Global Times, organe qui appartient au groupe de presse officiel du Quotidien du Peuple, a évoqué le 6 septembre le souvenir du Grand Bond en avant (1958-1961) et de ses victimes, y compris le chiffre de plus de 30 millions de morts de faim.

A l'intérieur même du parti, une lutte se déroule depuis 2010 entre les partisans d'une libéralisation politique et de la rupture avec l'héritage maoïste et ceux qui font du pouvoir arbitraire la condition de la survie du parti. Wen Jiabao a multiplié depuis 2010 les prises de position libérales. Wang Yang, chef de la province côtière méridionale du Guangdong, a engagé une libéralisation pratique, tout en fuyant la publicité internationale.

De l'autre côté, sans qu'on puisse mesurer le rôle exact de Zhou Yongkang, le tsar de la sécurité, ou celui de Li Changchun, le chef de la propagande, il est clair que ces rouages ont durci leurs actions. Symboliques, ces propos de policiers à l'intention d'avocats des droits de l'homme comme d'Ai Weiwei, détenus au secret en 2010-2011 : " Sur un ordre de nos dirigeants, nous enterrerons vivants les deux cents dissidents que compte la Chine." Ce qui n'a pas empêché Ai Weiwei de retrouver une semi-liberté chez lui, d'où il fait encore des déclarations osées : c'est un autre indice de divergences au sommet. En filigrane, le jugement officiel sur la crise de Tiananmen en 1989 attend toujours sa révision.

INDÉCISION POLITIQUE

La décennie incarnée par Hu Jintao et Wen Jiabao a vu d'extraordinaires succès économiques et marqué l'ascension de la Chine sur la scène internationale. Mais les libéraux, tout comme les conservateurs, se plaignent de l'indécision politique et de l'ambiguïté du duo régnant. Xi Jinping, le prochain numéro un, n'a pas de programme plus décelable. On connaît bien mieux sa vie que ses idées, rarement exprimées : une tirade antiaméricaine en 2010. En juin 2011, il promeut Mao comme référence majeure ; en janvier 2012, il demande le renforcement du parti dans les universités. Et puis, à la veille même du congrès, il fait entendre une note libérale, en rendant publique sa rencontre avec un fils de dirigeant connu pour sa défense de la démocratisation du parti. Sa vie, elle, a épousé les tournants de l'histoire chinoise : né dans une famille dirigeante, banni aux champs pendant la Révolution culturelle, grimpant ensuite les échelons, avec d'importants passages par l'armée, plusieurs provinces et enfin Shanghaï, avant le pouvoir central. Remarié à une chanteuse bien plus populaire que lui, il a une fille qui étudie à l'université Harvard.

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Le parti-Etat ne sait plus très bien où il va, mais il est plus puissant que jamais. C'est l'autre grande donnée des "quinze glorieuses" chinoises, qui ont suivi la crise financière asiatique de 1997 et contourné la crise financière occidentale de 2008. Le renforcement de l'Etat-parti tient à deux facteurs. Le premier est politique. Sous Jiang Zemin, de 1995 à 2002, la légalisation, sinon l'Etat de droit, a beaucoup progressé. Sous Hu Jintao, depuis 2002, le parti a régularisé son fonctionnement. On a introduit une politique des ressources humaines - avec évaluation des performances. Le régime consulte les experts - d'autant que les dirigeants ne sont pas distraits par les campagnes électorales et que les experts leur doivent allégeance.

En ce sens, le régime chinois développe un modèle différent de la démocratie et de la séparation des pouvoirs : la cité-Etat de Singapour sert souvent de référence. Lisse, impersonnelle, la "direction collective" a créé au sommet une "boîte noire" obscurcissant le processus de décision.

Le parti-Etat a aussi déployé son emprise sur la société. Naguère, les "mouvements de masse" de Mao et le contrôle mutuel tenaient en main la population. Aujourd'hui, ce contrôle est assuré par les médias et l'industrie des distractions, la censure a priori des publications et de l'Internet (blocage de mots-clés et fermeture des flux). Un parti de 83 millions de membres commande l'accès aux responsabilités. Les moyens de l'Etat central sont décuplés, pour le meilleur et pour le pire : le meilleur, quand se mettent en place un système de santé où chaque assuré est répertorié et des droits à la retraite avec un compte informatisé pour chaque foyer paysan. Le pire, parce que les organes de sécurité s'appuient sur toutes les technologies de surveillance et d'interception.

L'organisation qu'incarne le parti surmonte donc encore la société. Le congrès est la vitrine symbolique et rituelle du pouvoir. Mais le système est gouverné par en haut. De plus, les dirigeants retraités participent à certaines décisions, notamment pour la désignation aux postes. C'est Deng Xiaoping qui a consacré ce poids des vétérans. La rumeur a couru que l'ex-président Jiang Zemin, retiré depuis 2004, fermait son bureau personnel, puis qu'il avait eu un grave accident cardiaque : tout indique au contraire qu'il a été extrêmement actif à partir de l'automne 2009.

Hu Jintao et son premier ministre, Wen Jiabao, ont été les locataires d'un pouvoir étroitement encadré. Ils ont utilisé leurs propres atouts - pour Hu, le recrutement de la Ligue de la jeunesse communiste qu'il a dirigé : c'est une pépinière de cadres politiques. Mais ce n'est pas le carrefour du parti avec le pouvoir économique ou militaire... Le poids des Shanghaïens - il s'agit des cadres passés par cette métropole à l'économie essentiellement publique - et celui des "fils de prince", dont le réseau facilite l'ascension, sont au moins aussi importants. Ces clivages ne recoupent pas toujours le débat idéologique : on voit des "fils de prince" promouvoir des réformes, et plusieurs proches de Hu Jintao ont accentué la répression politique.

Le résultat du 18e congrès n'est donc ni à la portée de ses délégués, ni connu d'avance par les observateurs : il fait l'objet de tractations et de pressions au sein d'un groupe humain qu'on peut évaluer à 50 personnes : les 25 membres actuels du bureau politique, dont 14 devraient suivre la règle coutumière et se retirer, une vingtaine de candidats crédibles et une poignée de grands anciens jouant des rôles de parrains. Que guettera-t-on donc à l'issue de ce congrès ?

D'abord, si Hu Jintao conserve comme son prédécesseur la commission des affaires militaires, lui qui n'a jamais entretenu de relation proche avec l'armée, à la différence de Xi Jinping. Ensuite, si des dirigeants étiquetés plus libéraux accèdent ou non au comité permanent, et en particulier Wang Yang, le responsable du Guangdong, et Li Yuanchao, le moderniste chef du département de l'organisation. C'est aussi un enjeu si le chef de la commission des affaires politiques et juridiques appartient ou non au comité permanent : cette appartenance renforce la mainmise du parti sur l'ensemble du système légal, et les libéraux voudraient y mettre fin. On verra aussi si le responsable de la politique étrangère appartient au bureau politique ou a au moins rang de vice-premier ministre, ce que la montée de la Chine semble appeler. Enfin, le rôle du futur premier ministre, sans doute le libéral Li Keqiang, n'apparaîtra que plus tard, à la session annuelle de l'assemblée de mars 2013...

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