Analyse. Alors que la crise nord-coréenne s’exacerbe dans une spirale provocations-sanctions, le débat sur la sécurité régionale refait surface en Asie. Mais ce regain d’intérêt ne changera rien aux rapports de force entre les puissances dans la mesure où le poids contradictoire des mémoires nationales, les représentations antinomiques de la sécurité et l’absence de mesures de confiance entre les acteurs empêchent toute construction d’une architecture panrégionale de la sécurité dans le Pacifique.
La sécurité régionale en Asie est non seulement « une vieille idée qui n’a jamais progressé depuis quinze ans », rappelle François Godement, chercheur au think tank European Council of Foreign Relations. Mais « deux approches opposées de la sécurité coexistent » ajoute Valérie Niquet, maître de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Il existe une approche américaine, fondée sur un système d’alliances hérité de la guerre froide mais dénoncé par la Chine, et une approche chinoise, fondée sur la sécurité régionale sans les acteurs étrangers au nom du slogan « l’Asie aux Asiatiques ».
Tout consensus entre un système maritime et un système continental est à bannir. Les Etats-Unis craignent depuis le XXe siècle d’être écartés d’Asie ; et, quand bien même ils le seraient, leurs alliés verraient d’un mauvais œil ce retrait américain, car ils ne veulent pas se retrouver seuls face à Pékin. Quant à la Chine, qui par la force des choses a accepté depuis 1945 la présence américaine en Asie, la donne a changé depuis sa montée en puissance sur la scène mondiale. Les Chinois sont persuadés, analyse l’historien Pierre Grosser, auteur de L’histoire du monde se fait en Asie (Odile Jacob, 656 p., 39 euros), que leur modèle est « bon pour la paix, la prospérité et n’est pas intrusif, contrairement au modèle américain ».
« La confiance n’existe pas »
Comment dès lors surmonter cette impasse ? Par la création d’un nouveau mécanisme de concertation régionale ? L’Asie n’en manque pas ; au contraire même, rappelle Delphine Allès, spécialiste de l’Asie du Sud-Est, elle est la zone du monde où se superposent le plus d’organisations régionales. Mais, ajoute-t-elle, « ces formations n’ont aucune force contraignante et fonctionnent sur le mode de la coopération et non de l’intégration ». Ce sont des forums ou « des usines à parlotte », ironise Pierre Grosser. Et à partir du moment où la sécurité nationale l’emporte sur le partage des responsabilités, l’intégration devient un mot creux.
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