La réception du chef de l’Etat iranien, Hassan Rohani, au Kremlin, mardi 28 mars, a sans doute ravi l’équipe qui se prépare à lancer sa campagne, à Téhéran, pour l’élection présidentielle du 19 mai. Cette rencontre avec son homologue russe, Vladimir Poutine, a lieu alors que M. Rohani s’apprête à briguer un second mandat.
Elle adresse implicitement un démenti aux critiques conservateurs de M. Rohani, qui dénoncent la « naïveté » de son ouverture à l’Occident, engagée avec la signature de l’accord sur le nucléaire de juillet 2015. C’est oublier que le mandat de M. Rohani a abouti, dans le même temps, à un rapprochement de Téhéran avec Moscou jamais égalé jusqu’ici, principalement du fait de son soutien au régime de Bachar Al-Assad dans la guerre syrienne.
A Moscou, MM. Poutine et Rohani ont parlé commerce, souhaitant que leur entente dépasse ce cadre militaire. Ils ont évoqué des investissements russes dans le pétrole et le gaz iranien, et un accord pour un prêt russe de 2 milliards d’euros pour la construction d’une centrale électrique thermique à Sirik, sur le Golfe persique, ainsi que pour la modernisation de lignes ferroviaires dans le nord du pays. Mais ils ont surtout parlé de Damas.
Défiance
Qu’importe si le dossier syrien échappe largement à M. Rohani : il relève des gardiens de la révolution, principale force armée du pays, sous l’autorité du Guide suprême, Ali Khamenei. Le général en charge du dossier syrien, Ghassem Soleimani, avait déjà été signalé à Moscou le 14 février, après deux visites supposées en 2015, dont Washington estime qu’elles avaient préparé l’intervention russe en Syrie.
Mardi matin, le ministre des affaires étrangères iranien, Mohammad Javad Zarif, annonçait que la Russie pourrait utiliser « au cas par cas » les bases aériennes iraniennes, pour ses bombardements en Syrie. Un tel accord, rendu public à l’été 2016, avait suscité de graves questions à Téhéran, la Constitution iranienne interdisant à une puissance étrangère une présence permanente dans le pays. L’Iran a par ailleurs déployé sur son territoire les systèmes de missiles S-300 livrés en 2016 par Moscou.
Les généraux iraniens expriment cependant en privé leur défiance vis-à-vis de l’allié russe, note un visiteur français à Téhéran. Depuis septembre 2015, date de l’engagement russe en Syrie, aucun centre de commandement commun n’a été formellement établi à Damas, ce qui limite leur coopération.
Téhéran voit d’un mauvais œil les échanges d’informations que Moscou a établis avec Israël sur leurs mouvements aériens respectifs en Syrie. Le 17 mars, Israël avait bombardé un convoi d’armes destinées au Hezbollah dans la région de Palmyre, puis menacé de détruire le système de défense antiaérien syrien, après que Damas a fait feu sur ses avions. « La Russie ne peut pas choisir entre l’Iran et Israël : elle ne peut donc en satisfaire aucun », estime Nikolay Kozhanov, professeur invité à l’université européenne de Saint-Pétersbourg.
Surtout, les responsables iraniens craignent d’être utilisés par Moscou comme monnaie d’échange dans son rapport de force avec les Etats-Unis. « Mais même si la Russie envisageait de les lâcher pour un deal avec Washington, elle sait que cela prendrait du temps », note Ellie Geranmayeh, chercheuse au Conseil européen des relations internationales. Alors que les Etats-Unis concentrent leur engagement en Syrie contre l’organisation Etat islamique, « il est possible que Washington coopère plus avant avec Moscou, et qu’il ferme les yeux sur la présence iranienne, comme il le fait déjà en Irak », où des gardiens iraniens opèrent aux côtés des forces armées irakiennes.
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