Analyse. En appelant « à repenser la relation stratégique » entre l’Union européenne (UE) et la Russie, Emmanuel Macron a trouvé fort peu de soutien, y compris parmi des pays comme l’Italie dont les dirigeants successifs depuis une vingtaine d’années ont toujours entretenu des rapports cordiaux avec Vladimir Poutine. La tentative de rapprochement prônée le 7 novembre par le chef de l’Etat français dans un entretien à The Economist a déclenché incompréhensions et scepticisme dans le meilleur des cas, sinon une avalanche de réactions peu amènes au sein même de la famille européenne.
Sur le point de quitter la présidence du Conseil européen, Donald Tusk, ancien chef du gouvernement polonais, n’a pas mâché ses mots. « Lorsque j’entends Macron déclarer que “nous devons reconsidérer notre relation avec la Russie (…)”, je ne peux qu’exprimer l’espoir que cela ne se fera pas aux dépens de nos rêves communs de souveraineté de l’Europe », a-t-il lancé le 13 novembre lors d’une conférence au collège d’Europe.
Irrités par la méthode
Des Pays baltes à la Pologne, en passant par l’Allemagne, beaucoup ont vu dans la démarche du chef de l’Etat français une tentative de forcer la main à des partenaires irrités par la méthode et déjà remontés, pour certains, par le rôle déterminant joué par la France dans la réintégration, en juin, de la Russie à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
« Il n’y a pas de leader mondial avec une attitude plus contradictoire envers la Russie qu’Emmanuel Macron, fustigeaient en septembre les analystes du think tank britannique Chatham House, James Nixey et Mathieu Boulègue. Il réprimande la Russie sur la répression des manifestations à Moscou et demande au Kremlin de “se conformer aux principes démocratiques fondamentaux”. Dans le même temps, il déclare que “la Russie et l’Europe doivent être réunies”. »
« Macron anticipe le duopole Etats-Unis-Chine car il n’est pas totalement sûr du partenaire transatlantique et il souhaite prévenir une marginalisation de la France et de l’Europe », décrypte de son côté Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du Centre Russie-NEI à l’Institut français des relations internationales (IFRI). « Mais il affaiblit le moteur franco-allemand et, côté français, on ne se prononce désormais plus du tout sur les affaires intérieures russes, ajoute cette spécialiste. Il y a beaucoup d’ambiguïtés dans son discours. »
Un contexte croissant de défiance
Si personne, au sein de l’UE, ne conteste la nécessité de « parler avec la Russie » au nom du pragmatisme, l’initiative française s’inscrit dans un contexte croissant de défiance. Les manœuvres du Kremlin, ou ses mensonges, dans les affaires européennes – qu’il s’agisse du MH17 abattu au-dessus de l’Ukraine en 2014 sur lequel une commission d’enquête internationale conduite par les Pays-Bas poursuit ses travaux ; de la tentative d’empoisonnement en 2018 d’un ex-agent, Sergueï Skripal, au Royaume-Uni ; ou des multiples cas d’espionnage sur le sol européen ayant abouti à l’expulsion de dizaines d’agents et diplomates russes – ont durablement entaché les relations et laissé de profondes cicatrices.
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