La chute est vertigineuse. Au mois de juillet, les actions chinoises ont enregistré leur plus forte baisse mensuelle depuis août 2009, au cœur de la crise financière. L’indice composite de la bourse de Shanghai a plongé de 15 %, malgré les interventions répétées de l’État pour calmer les marchés. Et selon les économistes, la dégringolade pourrait se poursuivre en août. Les Bourses de Shanghai et de Shenzhen ont d’ailleurs terminé en recul de respectivement 1,11 % et 2,72 % lundi 3 août.
Ce n’est pourtant pas le plus inquiétant. Car la déroute boursière n’est que l’un des symptômes du ralentissement économique de l’Empire du milieu. « Pékin panique car les mesures prises jusqu’ici pour relancer la croissance ne fonctionnent plus », explique Patrick Artus, chef économiste de Natixis.
Officiellement, le PIB chinois a crû de 7,5 % au deuxième trimestre. Mais les experts jugent qu’en vérité, la hausse n’a guère dépassé 4 % à 5 %. « Elle devrait se stabiliser autour de 5 % dans les années à venir, loin des 10 % d’avant la crise », prévoit Adam Slater, chez Oxford Economics. Les analystes de Natixis estiment quant à eux qu’elle tombera autour de 3 % lors de la prochaine décennie.
En juillet, la production manufacturière chinoise a atteint son plus bas niveau depuis deux ans. L’indice PMI des directeurs d’achat, désormais calculé par la firme financière Markit en partenariat avec le groupe de presse chinois Caixin (qui a pris le relais de la banque HSBC), s’établit ainisi à 47,8. Il faut remonter à juillet 2013 pour trouver un niveau plus mauvais. Un chiffre supérieur à 50 marque une expansion de l’activité manufacturière, tandis qu’un indice inférieur à ce seuil signale une contraction.
Mutation démographique et baisse de la compétitivité
Les raisons de ce ralentissement ? Elles sont d’abord mécaniques. « La forte croissance du début de la décennie était liée à un effet de rattrapage, qui joue désormais beaucoup moins », explique Jean-Joseph Boillot, spécialiste de la Chine et conseiller au club Cepii. Jusqu’ici tirée par les exportations et l’investissement, l’économie chinoise se dirige vers un autre modèle, plus équilibré, fondé sur la consommation.
Et cela, au moment où son incroyable réservoir de main-d’œuvre, rattrapé par le vieillissement démographique, s’épuise. Et où la hausse du salaire moyen (+11,6 % par an en terme réel ces dix dernières années) érode la compétitivité du pays à l’export. « Face à ces mutations majeures, le coup de frein chinois est inéluctable », concluent William de Vijlder et Christine Peltier, chez BNP Paribas.
Quelles conséquences ce ralentissement aura sur l’économie mondiale ? « Elles sont difficiles à appréhender, car elles dépendront des conditions qui accompagneront cet atterrissage », expliquent les deux économistes. Brutal et doublé d’une explosion de la bulle d’endettement des entreprises, il mettrait un net coup de frein du commerce mondial, tandis que le retour des incertitudes plomberait à nouveau l’investissement. S’il est au contraire progressif et piloté correctement, l’impact sera plus doux.
« Dans les deux cas, l’onde de choc sera bien moins désastreuse que celle de la crise de 2009 », rassure Sylvain Laclias, spécialiste du pays au Crédit agricole. Et tous les pays ne seraient néanmoins pas affectés de la même façon. Ni dans les mêmes proportions.
Première victime, les producteurs de matières premières
Les plus pénalisés seraient sans doute les grands producteurs de matières premières. Pour faire face au gigantisme de ses travaux d’infrastructures, Pékin a englouti ces dernières années 51 % de la consommation mondiale de charbon, 50 % de celle de cuivre et 11 % de la demande mondiale de pétrole. La baisse de ces importations affecterait en premier lieu le Brésil, dont 20 % des exportations sont destinées à la Chine, la Russie, le Chili et l’Argentine. Mais aussi l’Australie et les pays du Golfe.
Pour ces derniers, le pire des scénarios serait que le coup de frein chinois s’accompagne d’une remontée des taux américains. Celle-ci pourrait intervenir dès la fin de l’année. Elle accélérerait le rapatriement des capitaux vers New York et Washington, au détriment de San Paulo, Buenos Aires et Santiago. « En revanche, la baisse des cours des matières premières profiterait aux autres pays qui en consomment, à savoir la plupart des pays industrialisés », souligne M. Boillot.
Toute la question est de savoir si cette baisse des prix compenserait la chute des exportations à destination de l’Empire du Milieu. La réponse est non pour les plus proches partenaires asiatiques de Pékin, à savoir la Corée du Sud, Singapour ou encore la Nouvelle-Zélande, dont les exportations en valeur vers la Chine pèsent respectivement 10,1 %, 16,7 % et 4,2 % de leur PIB en valeur.
La zone euro et les Etats-Unis seraient moins affectés
La zone euro et les Etats-Unis seraient en revanche moins touchés : leurs exportations vers Pékin ne représentent que 1,5 % et 0,7 % du PIB. En France, leur poids est de 0,7 %. Selon les calculs de l’Insee, un ralentissement de 3 points par an de la demande intérieure chinoise se traduirait par une perte de 0,1 point de notre PIB, au maximum. L’impact serait d’une ampleur similaire en Allemagne, même si la Chine est aujourd’hui le troisième marché d’exportation de Berlin : au total, elle absorbe 10 % des ventes d’automobiles à l’étranger.
Car si l’industrie chinoise tournera moins vite, la consommation, elle, devrait se maintenir, alimentée par la hausse des salaires. Les groupes occidentaux misant sur la demande des ménages seraient donc moins pénalisés. « A condition néanmoins que l’Etat parvienne à soutenir sans heurt ni soubresaut la mutation de l’économie », nuance M. Slater. Par exemple, en continuant de construire un filet de protection sociale, afin que les ménages privilégient les dépenses à l’épargne de précaution.
Relocalisations vers les pays à bas coûts de production
Le ralentissement chinois modifiera également l’organisation internationale des chaînes de production. « Cela a déjà commencé, souligne Agatha Kratz, spécialiste de la Chine au think tank European Council on Foreign Relations. La hausse des salaires a rendu les usines chinoises moins compétitives sur les produits à très basse valeur ajoutée. »
Une partie de ces capacités de production s’est déjà relocalisée vers les pays offrant une main-d’œuvre moins coûteuse. En 2010, 40 % des chaussures Nike étaient produites en Chine, contre 13 % au Vietnam, selon Mme Kratz. En 2013, la part chinoise est tombée à 30 %, tandis que celle du Vietnam a grimpé à 42 %. Un mouvement de relocalisation qui devrait se poursuivre. Et qui pourrait profiter à l’Europe centrale et de l’Est.
Dans le même temps, les usines chinoises devraient poursuivre leur montée en gamme. Elles ne veulent plus être de simples maillons de la chaîne d’assemblage asiatique. Elles cherchent à devenir des producteurs à part entière. Cela signifie-t-il qu’elles freineront les massifs investissements de ces dernières années à l’étranger ?
Rien n’est moins sûr. Car si la Chine, au départ, investissait hors de ses frontières pour sécuriser ses approvisionnements en matières premières, elle le fait désormais pour introduire ses marques sur de nouveaux marchés, ainsi que pour diversifier ses placements en misant, par exemple, sur l’hôtellerie de luxe européenne. Autant dire que les investisseurs de Shanghaï n’ont pas fini de défiler à Paris…
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