Nouri Al-Maliki est en sursis. Une pluie d’accusations s’abat de toutes parts, en Irak comme à l’étranger, sur le chef du gouvernement après la déroute des forces gouvernementales face à l’offensive de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) et de ses alliés sunnites. Sorti vainqueur avec son parti des élections législatives du 30 avril, le premier ministre sortant n’est plus assuré de réunir autour de lui une coalition pour briguer un troisième mandat. De plus en plus de voix s’élèvent pour demander son départ, le jugeant responsable de l’impasse politique.
Arrivé au pouvoir en 2006, M. Maliki s’est peu à peu recroquevillé sur sa base électorale chiite, menant une politique autoritaire et sectaire au détriment des minorités kurde et sunnite. Marginalisée, la communauté sunnite, qui compose 35 % de la population irakienne, a vu naître en son sein en 2011 un mouvement de contestation pacifique. Ce mouvement, réprimé férocement, s’est transformé en insurrection. Un terreau insurrectionnel sur lequel prospère aujourd’hui l’EIIL.
LA POLITIQUE SECTAIRE DE MALIKI SOUS LE FEU DES CRITIQUES
Nouri Al-Maliki ne s’est pas seulement aliéné les communautés sunnite et kurde. Les plus violentes critiques à son encontre émanent de la communauté chiite. Lors des législatives d’avril, plusieurs formations se sont prononcées contre sa reconduction. A l’instar du chef du Conseil suprême islamiste irakien, Ammar Al-Hakim. Le chef politique chiite Moqtada Al-Sadr l’a qualifié de « nouveau Saddam » et de « nouveau dictateur ».
L’ayatollah Ali Sistani, le plus haut dignitaire chiite du pays, ne ménage pas ses critiques envers la politique sectaire de Maliki. Depuis plus d’un an, l’ayatollah refuse même de recevoir les émissaires envoyés par Maliki chez lui à Nadjaf. Le 20 juin, Ali Sistani a adressé une critique implicite au gouvernement Maliki, appelant à la formation « d'un gouvernement efficace » qui « évite les erreurs du passé ».
Ces critiques rejoignent celles de l’ancien allié américain. L’administration Obama, dont les rapports avec Maliki sont tendus depuis 2011 comme le rappelle le Guardian, hésite à soutenir le premier ministre chiite en dépit des appels pressants de Bagdad. Nombreux dans les camps démocrate et républicain demandent son départ. Le 19 juin, le président Obama a estimé que les Etats-Unis n'avaient pas à choisir les dirigeants irakiens, mais il a appelé M. Maliki à relever le « défi » de l'ouverture à toutes les communautés pour sortir le pays de la crise.
Une position partagée par le premier ministre britannique, David Cameron, et par le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, qui a appelé à la formation d’un gouvernement d’union nationale « avec ou sans M. Maliki. »
L’Iran, allié le plus proche du gouvernement Maliki, ne s’est pas exprimé sur un futur gouvernement, mais le président iranien Hassan Rouhani a exhorté Maliki à travailler avec les autres communautés contre les extrémistes. Nouri Al-Maliki n’est pas la personnalité la plus proche de Téhéran. Selon le Guardian, le général iranien Qassem Souleimani, faiseur de rois à Bagdad, considérerait même l’homme comme un « idiot ».
DES CANDIDATS À LA SUCCESSION APPROCHÉS PAR LES ETATS-UNIS
Selon le New York Times, des responsables américains, parmi lesquels l’ambassadeur Robert S. Beecroft, auraient commencé à consulter des personnalités politiques chiites. Certaines des personnalités consultées ont affirmé que les Américains pressent les différentes factions politiques - chiite, kurde et arabe sunnite- à s’entendre sur le nom d’un successeur. Cela pourrait prendre des semaines voire des mois avant qu’un consensus ne se dégage sur un nom.
Celui d’Ahmed Chalabi, personnalité hautement controversée en Irak, est souvent cité. Il aurait rencontré les responsables américains et iraniens, selon le New York Times et le Guardian. Son retour en grâce surprend. « C’est l’homme des néo-conservateurs et de la CIA. C’est lui qui a donné aux Etats-Unis les arguments en faveur d’une offensive contre Saddam Hussein, en abusant leurs services secrets. Il a également ses entrées dans certaines sphères proches du Guide suprême iranien. Mais en Irak, l’homme fait figure d’escroc », dit le spécialiste Pierre-Jean Luizard. Selon le New York Times, l’ancien vice-président Adel Abdul Mahdi et l’ancien ministre Bayan Jaber auraient également été consultés.
Le successeur de Maliki pourrait sortir des rangs même de son parti « Dawa » et de la coalition chiite « Etat de droit » (« Dawlat Al-Qanoun »). « Ce serait le tour de passe-passe : on respecte le résultat des dernières élections tout en imposant au nouveau chef de gouvernement de réaliser l’union nationale », analyse M. Luizard. Pour la chercheuse Myriam Benraad, plusieurs personnalités ayant pris leurs distances avec Maliki peuvent être considérées.
Le nom d’Hussain Al-Charistani, ancien opposant à Saddam Hussein et ministre délégué à l’énergie, est souvent cité. Saleh Al-Fayyad, secrétaire d’Etat à la sécurité nationale et membre du parti Dawa, est respecté des forces de sécurité. Il est également connu et apprécié des Etats-Unis pour ses qualités de négociateur. Le directeur de cabinet et conseiller politique de Maliki, Tarek Najm, homme de l’ombre, a joué un rôle central dans les négociations sur l’aide militaire américaine.
LA BATAILLE DE MALIKI POUR SA SURVIE
Convaincu d’être l’homme providentiel dont a besoin l’Irak, Nouri Al-Maliki n’est pas prêt à lâcher le pouvoir et mise sur une victoire militaire pour se maintenir à la tête de l’Etat. Ce dont il espère convaincre le secrétaire d’Etat américain John Kerry, lundi 23 juin. « Nouri Al-Maliki dispose encore d’une marge de manoeuvre pour se maintenir au pouvoir. Si l’armée parvient à reprendre du terrain sur l’EIIL et les insurgés sunnites, il pourrait rester », estime Pierre-Jean Luizard.
Il n’est pas certain que M. Maliki cède aux pressions pour former un gouvernement d’union nationale. Depuis sa victoire en avril, avec 92 sièges sur 328, l’homme s’est mis en tête de former un gouvernement majoritaire. Il s’est jusqu’à présent refusé à engager des négociations avec les communautés kurde et arabe sunnite. En lieu et place d’un dialogue avec les insurgés sunnites, il a mobilisé la population et les milices chiites pour mener la contre-offensive.
Et même s’il cédait aux injonctions de former un gouvernement d’union nationale, ses chances d’y parvenir sont minces. « Les forces locales ne se sont pas soulevées pour quelques strapontins au sein du gouvernement. Les sunnites désespèrent du système politique confessionnel légué par les Etats-Unis après 2003, qui a produit des exclus », analyse M. Luizard. Ce système rend Maliki prisonnier de sa base politique tout autant que les autres dirigeants. « Ses successeurs potentiels au sein du parti Dawa sont issus du système Maliki. Il n’est pas assuré qu’ils fassent montre d’une plus grande ouverture et que cela suffise à changer la position de la frange sunnite la plus radicale », analyse Mme Benraad.
Une autre option serait de nommer une personnalité politique sunnite au poste de premier ministre, à l’instar d’Oussama Al-Nujaifi, le président du parlement, ou de Saleh Al-Mutlaq, le président de la coalition sunnite Al-Iraqiya. « L’option d’un premier ministre sunnite pouvant ébranler l’adhésion des sunnites à l’EIIL et les convaincre de réintégrer le jeu politique est très peu vraisemblable », estime M. Luizard. Pessimiste, le spécialiste de l’Irak doute de la capacité à réformer le système politique. « Les jours et les semaines à venir devraient donner lieu à des affrontements communautaires croissants. »
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