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Jusqu'où ira Daech?

Les attentats de vendredi, notamment en Tunisie et au Koweït, illustrent l’impuissance de la coalition, qui ne combat Daech que du ciel.

Antoine Malo , Mis à jour le
Samedi dans la ville de Koweït, un massif cortège funèbre a rendu hommage aux 27 victimes de l’attentat perpétré vendredi devant une mosquée chiite.
Samedi dans la ville de Koweït, un massif cortège funèbre a rendu hommage aux 27 victimes de l’attentat perpétré vendredi devant une mosquée chiite. © AFP

"Le soldat du califat Abou Yahya Al-Qayrawani a pu parvenir au but dans l'hôtel Imperial", tuant près de 40 personnes, "dont la plupart sont des sujets des États de l'alliance croisée qui combat l'État du califat". C'est par ces mots que l'État islamique (EI) revendiquait vendredi soir la tuerie perpétrée à Sousse , en Tunisie. Quelques heures plus tôt, c'est un autre attentat, au Koweït contre une mosquée chiite, qui était endossé par le groupe djihadiste. "C'est un effet direct de l'intervention internationale en Syrie et en Irak", explique Romain Caillet, chercheur et spécialiste des mouvements djihadistes. "Elle a fait passer l'État islamique d'une logique locale, qui se cantonnait au Levant, à une logique globale ." Pour Julian Barnes-Dacey, spécialiste du Moyen-Orient à l'European Council on Foreign Relations, "l'organisation envoie un message à toute la région : malgré les bombardements de la coalition, nous continuons à frapper et à nous étendre . En se présentant comme un groupe qui a un agenda, qui peut encore se déployer, il renforce sa crédibilité". Pour les groupes djihadistes à travers le monde, l'EI est désormais la référence.

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Expansion internationale

De fait, depuis la prise de Mossoul il y a un an, le groupe n'a cessé de multiplier les ralliements : Nigeria , Afghanistan, Algérie, Égypte, Arabie saoudite… Dans tous ces pays, des groupes djihadistes ont fait allégeance à Baghdadi. C'est sans compter la Libye. Bien qu'ayant subi des déconvenues dans leur fief de Derna (dans l'Est) ces dernières semaines, l'EI contrôle désormais une partie du littoral autour de Syrte, se bat à Benghazi, dispose de cellules en Tripolitaine. "Cette internationalisation est bénéfique pour l'EI car, en cas de pertes de territoires en Syrie ou en Irak, il peut toujours dire qu'elles sont compensées par ces nouveaux ralliements", reprend Romain Caillet. Ce faisant, l'organisation multiplie aussi les fronts. Si la coalition internationale, menée par les Américains, suivait sa logique jusqu'au bout, elle devrait intervenir partout où l'EI est présent. Ce qui est impossible. Elle le peut d'autant moins qu'en Syrie et en Irak, où elle mène des raids aériens depuis août 2014, sa stratégie se solde déjà par un échec . Depuis la prise de Mossoul il y a un an, le territoire de Daech ne cesse de s'étendre, les prises de Palmyre et de Ramadi le mois passé en témoignent. Vendredi, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme, le mouvement s'est emparé en moins de deux heures de trois points de contrôle dans la province de Hama (centre du pays), tuant 40 soldats loyalistes.

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Coalition limitée

Daech avance et la coalition semble impuissante. "En fait, l'option du tout-militaire fonctionne dans les zones contrôlées par les Kurdes. Eux possèdent une chaîne de commandement, des troupes motivées. La coalition leur fait confiance", ajoute Romain Caillet. Les forces kurdes de Syrie, regroupées au sein de l'YPG, ont dernièrement enregistré plusieurs victoires sur Daech : Tal Abyat, ville clé située à la frontière turque, est retombée entre leurs mains. Les Kurdes ont poussé l'offensive jusqu'à 50 km de Raqqa, menaçant le bastion des djihadistes en Syrie. Ce qui n'a pas empêché Daech de lancer un assaut jeudi sur Hassaké, ville syrienne à la frontière avec l'Irak et la Turquie, s'emparant de deux quartiers et entraînant la fuite de 60.000 habitants. Les djihadistes ont également lancé une offensive surprise le même jour à Kobané, cette ville qui fut le théâtre en janvier de la première défaite militaire de l'EI en Syrie. Si, là encore, ils ont été délogés samedi matin, ils auraient tué plus de 200 civils . L'un des pires massacres de l'EI en Syrie . L'objectif de cette attaque? "Obliger les Kurdes à mobiliser une partie de leurs troupes alors qu'ils sont à l'offensive ailleurs", explique Julian Barnes-Dacey. "Et surtout empêcher la reconstruction de Kobané, complète Romain Caillet. Ils signifient au monde que la reconquête de la ville par la coalition était une victoire à la Pyrrhus."

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Solution militaire et politique

Sur l'autre front de sa guerre contre l'EI, le front financier, la coalition ne semble guère faire mieux. Daech continue de prélever les impôts, de vendre son pétrole en Turquie , mais aussi au régime syrien et aux autres groupes rebelles. Selon le Centre d'analyse du terrorisme, le revenu annuel théorique de l'organisation atteint 3 milliards de dollars. Cette manne financière lui permet de développer, au moins dans les villes, des services publics. Et de poser les bases d'un proto-État.

Face à cette puissance, que peut faire la coalition? "L'option militaire ne pourra au mieux que contenir Daech territorialement, estime Julian Barnes-Dacey. Il faut absolument l'accompagner d'une solution politique." En Syrie, cela passe par la remise en question du pouvoir en place à Damas. Et en Irak, par l'implication des tribus sunnites dans le combat contre les terroristes. "Mais pour regagner leur confiance, il faudra accéder à leur demande, notamment l'autonomie des zones sunnites", souligne Romain Caillet. Ce qui reviendrait à prononcer la mort de l'Irak dans sa configuration actuelle. Un scénario qu'aucun pays de la coalition n'est encore prêt à accepter.

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Source: JDD papier

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