POLITIQUE - Un nouveau sommet en forme de guerre de tranchées? Les vingt-sept dirigeants des pays de l’Union européenne se réunissent ce jeudi 23 avril par visioconférence pour la quatrième fois depuis le début de la crise sanitaire du coronavirus. Un Conseil qui s’ouvre sur fond de clivage entre les pays du Nord inquiets de payer pour les dépenses de ceux du Sud, qui eux réclament une plus grande solidarité.
Mais alors que le plus dur commence pour la solidarité européenne, déjà mise à rude épreuve depuis quelques mois, les lignes semblent peu à peu bouger. L’Allemagne, d’ordinaire réputée pingre, se montre notamment plus encline à sortir le carnet de chèques .
“Certains dirigeants se rendent comptent que la solidarité ne peut plus être mise de côté”, explique au HuffPost Tara Varma. La directrice du Bureau de Paris de l’European Council on Foreign Relations pointe notamment “l’évolution significative” d’Angela Merkel sur l’idée d’une dette commune, qui n’en porterait pas le nom, aux différents pays de l’Union.
Une mutualisation qui était déjà au cœur des âpres négociations du 9 avril dernier. Elles avaient mis en lumière la fracture béante entre les pays du sud et ceux du nord. Parmi eux, les Pays-Pas cristallisaient des rancœurs unanimes pour sa position inflexible sur plusieurs outils de solidarité. Et rien n’indique que les choses devraient changer.
Les Pays-Bas, ”égoïstes” pointés du doigt
Il y a quelques semaines, l’Elysée n’avait pas hésité à fustiger la responsabilité de ce “seul pays” à s’être opposé à l’activation du Mécanisme européen de stabilité, permettant de prêter de l’argent à un Etat en difficulté jusqu’à concurrence de 2% de son PIB. Un blocage “contreproductif, incompréhensible” pour l’entourage d’Emmanuel Macron, qui pointait alors “l’effondrement, notamment en Italie, du degré de confiance envers l’Europe.”
Message reçu? Pas tellement, puisque contrairement à l’habitude, les dirigeants ne devraient adopter aucune déclaration commune à l’issue de cette nouvelle réunion, a confié à l’AFP un diplomate européen. Difficile effectivement d’imaginer les nations réfractaires à débloquer 500 milliards d’euros s’accorder à en dégeler au moins le double pour un plan de relance en une après-midi.
Une situation que déplore l’eurodéputée insoumise Manon Aubry. “Les chefs d’État doivent comprendre l’ampleur de la crise et l’ampleur des attentes des citoyens. Il suffit de voir ce qui se passe en Italie où la colère monte. C’est assez inédit que Conte prenne une position si forte en pointant du doigt les États égoïstes du nord de l’Europe”, explique au HuffPost celle qui préside le GUE/NGL, un groupe de gauche au Parlement européen.
C'est un État qui a toujours été historiquement pingre, qui ne veut pas mettre au pot commun en pensant que le retour sur investissement n'est pas assez bon."
Même son de cloche du côté du député LREM Pieyre-Alexandre Anglade. “Il est très clair que l’union sera menacée si les pays les plus riches tels que l’Allemagne et les Pays-Bas ne font pas montre de davantage de solidarité”, prédit-il au HuffPost.
Et dans cette situation, ce sont bien les Pays-Bas qui font désormais office de chef de file des Nations pingres. “Les Pays-Bas se positionnent sur la logique de dire, ‘nous on a des finances saines, pourquoi on paierait pour les autres? Les réformes difficiles que nous avons menées nous permettent d’être moins touchés aujourd’hui’”, nous explique Tara Varma. Avant de poursuivre: “ils ont beaucoup puisé dans ce narratif. Les réactions ont été atterrées et il y a eu un clash.”
“Un paradis fiscal qui vient donner des leçons”
Avec une rare violence, contrastant avec la diplomatie qui prévaut généralement dans les relations internationales, le Premier ministre portugais Antonio Costa avait critiqué la “mesquinerie récurrente” des Pays-Bas. ”Ce discours est répugnant dans le cadre d’une Union européenne. C’est vraiment le mot: répugnant”, lançait-il, à l’issue d’un premier Conseil européen infructueux à la fin mars.
Selon la presse néerlandaise, le ministre des Finances, Wopke Hoekstra avait passé sa semaine à dire que certains pays auraient dû économiser davantage ces dernières années pour absorber les coûts entraînés par la pandémie.
Une position de longue date intenable pour bon nombre de responsables politiques européens. “Ce n’est pas une légende, ce sont bien les Pays-Bas qui bloquent”, reconnaît d’emblée Manon Aubry avant de pointer “l’ironie de la situation”: “on parle d’un des pires paradis fiscaux qui vient maintenant donner des leçons de solidarité alors qu’il est l’incarnation même de l’égoïsme européen.”
Qui peut croire au nord du continent que la prospérité de leurs pays survivrait à la ruine de ceux du sud de l’Europe?"
Et l’Insoumise de prendre en exemple l’attitude du pays au Parlement européen. “Tous les Néerlandais ont voté contre la résolution” de stratégie commune dans la lutte contre le coronavirus, explique-t-elle.
Même indignation pour l’ancien patron du parti Europe Écologie Les verts David Cormand. Contacté par Le HuffPost, le député européen estime que les Pays-Bas “exagèrent vraiment” dans leur inflexibilité. “C’est un État qui a toujours été historiquement pingre, qui ne veut pas mettre au pot commun en pensant que le retour sur investissement n’est pas assez bon”, regrette-t-il. Avant de fustiger: “c’est un double-jeu scandaleux, car les Pays-Bas sont un paradis fiscal.”
Changement d’équilibre?
Motif d’espoir pour les partisans d’une relance massive et solidaire: le contexte sanitaire et économique ne cessant de s’aggraver sur le Vieux continent, le libéral Mark Rutte, pourrait être de plus en plus seul à défendre une ligne dure.
L’Allemagne d’Angela Merkel semble effectivement peu à peu s’adoucir sur un éventuel mécanisme de mutualisation des dettes. “Ils se disent qu’ils sont isolés sur le jeu européen et d’un point de vue rationnel ils ont intérêt à ce que les États du sud ne se crashent pas”, nous explique Manon Aubry.
“Je lis qu’Angela Merkel serait prête à faire des concessions, ce serait déjà un pas en avant”, se félicite de son côté le député Anglade, également vice-président de la Commission des affaires européennes à l’Assemblée. “Mais nous avons besoin de beaucoup plus qu’un pas en avant. Nous vivons un moment crucial, historique”, explique-t-il. “Qui peut croire au nord du continent que la prospérité de leur pays survivrait à la ruine de ceux du sud de l’Europe?”
Au-delà du cas allemand, ce sont bien toutes les lignes européennes qui pourraient bouger face à cette crise sans précédent.
“Je note que la nature des débats évolue. Il y a quelques mois, on était vus comme des radicaux sur la question de l’annulation de la dette. Maintenant c’est une position qui est ouvertement dans le débat et soutenue par des acteurs économiques orthodoxes”, se réjouit Manon Aubry qui essaie de voir “le verre à moitié plein” dans la réponse européenne à la situation. De quoi établir, au delà de la fracture nord/sud, un nouveau rapport de force dans les batailles de tranchées à venir?
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