RUSSIE - Être le seul candidat crédible, sans empêcher les Russes d'aller voter: c'est l'équation que devait résoudre Vladimir Poutine pour l'élection présidentielle de ce dimanche 18 mars. Très largement en tête des sondages, le chef de l'État est sûr d'être élu. Mais pour l'emporter sans démobiliser, le maître du Kremlin use d'un système électoral qui fait fonctionner la machine démocratique tout en lui assurant la victoire du pouvoir en place, comme vous pouvez le découvrir dans notre vidéo en tête d'article.
Une sélection impitoyable des candidats
Face à Vladimir Poutine, sept opposants, allant du communisme à l'extrême droite (étrangement représentée au parlement russe par le parti "libéral-démocrate"). Ils sont les survivants d'un système de sélection expert dans l'exclusion en douceur. "C'est réglé comme une horloge, explique Andrew Wilson, professeur au University College de Londres. Le système des signatures, très coûteux, permet en lui-même de contrôler l'élection, en poussant les candidats vers la corruption". Pour faire partie de la course à la présidence, il faut en effet rassembler entre 300.000 et 100.000 signatures de citoyens.
Un net progrès par rapport à l'élection de 2012, où un candidat indépendant devait recueillir un million de voix pour espérer prendre la place de Dimitri Medvedev. Pourtant, réunir les soutiens nécessaires reste une affaire redoutablement complexe et chère à mettre en œuvre. Il faut que les paraphes proviennent des 86 districts de la fédération, sans que plus de 50.000 ne soient issus de la même région: un processus qui a découragé la moitié de la soixantaine de candidats déclarés.
Navalny exclu du scrutin
La collecte achevée, c'est à la redoutée commission électorale de se prononcer sur la validité de la candidature. L'organisme, régulièrement accusé par l'Union européenne de jouer un rôle hautement politique aux élections en filtrant les candidats indésirables, peut invalider une candidature sur une simple faute d'orthographe. Nommée en 2016 à la tête de l'organisme de contrôle, Ella Pamfilova symbolise pourtant une volonté affichée d'en finir avec ces pratiques. Première candidate féminine à l'élection présidentielle, en 2000, cette dernière est une figure de la lutte pour les droits de l'Homme en Russie.
Las, le plus célèbre des activistes anti-corruption, Alexei Navalny, n'a pas obtenu le droit de se présenter. En cause, une condamnation passée pour détournements de fonds, que la Cour européenne des droits de l'homme avait jugée bien peu crédible. S'il n'a jamais été une menace dans les urnes pour Vladimir Poutine, il est désormais privé d'une plateforme efficace pour clamer son opposition au président russe et à la corruption des élites du pays.
"Pas d'opposant sérieux"
À la fin de ce processus, sept candidats face à Vladimir Poutine, allant de l'extrême droite avec Vladimir Zhirinovsky, jusqu'au traditionnel parti communiste, qui propose un candidat nouveau et au profil qui tranche avec celui de ses prédécesseurs, Pavel Groudinine. "L'offre politique reste finalement assez traditionnelle", analyse Jean-Robert Raviot, professeur à l'université Paris-Nanterre: "C'est le reflet de la très grande faiblesse des partis politiques: le seul grand parti russe est actuellement Russie unie, le parti du président".
L'effort de libéralisation consenti après les scrutins précédents (législatives en 2011, présidentielle en 2012) serait-il sans effet? "La loi électorale est très instable: à presque chaque élection, nous avons de nouvelles règles", déplore Iuliia Krivonosova, chercheuse en Sciences politiques à l'université de Tallin (Estonie). L'ouverture relative n'a au final pas permis une réelle dynamisation d'un scrutin qui reste sans enjeu. "Il n'y pas d'opposant sérieux", résume Jean-Robert Raviot.
Consensus derrière la personne de Poutine
Le jour du scrutin, les jeux sont donc faits. Sans opposition réelle, face à des candidats qu'il a parfois lui-même encouragés, comme la très médiatique Ksenia Sobchak, Vladimir Poutine est le vainqueur du vote avant même qu'il ait eu lieu. Le président russe est d'ailleurs resté soigneusement absent des débats, cultivant son image de chef, loin d'un combat électoral auquel il ne donne guère d'attention... sauf pour encourager la population à voter.
Être mal élu, voilà bien le danger que court, pour ce quatrième mandat, le président russe. "Ces élections sont une machine à relégitimiser le pouvoir", explique ainsi Anne Le Huerou, spécialiste de la civilisation russe contemporaine. Un taux de participation plus faible que celui de 2012 (64%) nuirait à cette fonction de légitimation. C'est pourquoi le parti du président martèle le "nombre d'or" de 70% comme l'objectif à atteindre: 70% de participation, 70% de suffrages exprimés en faveur de Vladimir Poutine.
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