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Les Anglais, un pied dedans, un pied dehors, ou l'inverse ? Un mal qui touche l'Europe entière

Paul Hackett/REUTERS

FIGAROVOX/TRIBUNE - Pour Manuel Lafont Rapnouil, faute d'avancer plus loin, mais en écoutant les peuples, l'Union européenne risque de se dissoudre. Le dilemme britannique «un pied dedans, un pied dehors» concerne aujourd'hui toute l'Europe.


Manuel Lafont Rapnouil est directeur du bureau de Paris de l'ECFR, le European Council on Foreign Relations.


Londres, qui avait depuis longtemps un pied dans l'UE et un dehors, allait essayer de négocier un statut qui lui permette d'être dans la situation inverse.

La blague - amère - qui prévalait avant le référendum britannique voulait que Londres, qui avait depuis longtemps un pied dans l'Union européenne et un dehors, allait essayer de négocier un statut qui lui permette d'être dans la situation inverse.

C'est en effet une stratégie probable de ceux qui ont plaider pour sortir le Royaume-Uni de l'Union. Mais la véritable leçon politique de ce vote est justement qu'on ne peut tenir éternellement dans cet entre-deux. On finit forcément par être rattrapé par une dynamique politique qui pousse toujours plus à sortir qu'à rentrer. Il est en effet plus facile d'assumer le pied dehors, et de présenter l'autre comme un mal nécessaire, que le pied dedans: car, en l'espèce, si faire partie de l'Union européenne en vaut vraiment la peine, alors pourquoi ne pas le faire pleinement.

Cette leçon, chacun la comprenait implicitement. La sidération devant le résultat du vote britannique ne tient pas seulement à son caractère historique: si la construction européenne avait déjà été encalminée, elle n'avait jamais parue autant sur le point d'être prise d'assaut, et n'avait jamais connu un tel recul, qui semble désormais rendre jusqu'à son délitement possible.

Cette sidération tient aussi au risque pris par le gouvernement britannique. Il ne s'agit pas de critiquer son

Si la construction européenne avait déjà été encalminée, elle n'avait jamais parue autant sur le point d'être prise d'assaut, et n'avait jamais connu un tel recul, qui semble désormais rendre jusqu'à son délitement possible.

recours aux urnes, mais on peut s'étonner de l'inconséquence de la façon dont il a pris cette décision: en l'absence d'un meilleur plan pour l'emporter, d'un effort plus préparé pour rallier le public, ou même simplement d'une conscience plus aiguë de ce que la vigueur du discours eurosceptique avait pu produire dans l'opinion britannique. Mais cette leçon ne concerne-t-elle vraiment que les Britanniques?

La priorité est aujourd'hui de répondre à l'incertitude. Il faut stabiliser les marchés financiers, pour éviter une déflagration dont nos économies et nos sociétés n'ont pas besoin. Il faut aussi convaincre que le processus est sous contrôle, encadré, et qu'il sera ordonné, même s'il prendra du temps. De ce point de vue, il importe d'entrer rapidement dans la négociation, contrairement à ce que Londres a annoncé. Et de clarifier qu'une sortie de l'UE implique bel et bien d'en sortir: le Royaume-Uni ne peut pas espérer une relation significativement meilleure que celle que l'Europe offre à la Norvège ou à la Suisse. En tout état de cause, l'Union européenne doit pouvoir rapidement s'attaquer aux autres défis qu'elle n'a déjà que trop repoussés, et pas s'enliser dans un nouveau feuilleton interminable.

La priorité est de répondre à l'incertitude. Il faut stabiliser les marchés financiers, pour éviter une déflagration dont nos économies et nos sociétés n'ont pas besoin.

Il faut donc, enfin, convaincre de notre engagement renouvelé dans le projet collectif qu'est la construction européenne. En France comme ailleurs en Europe, la question de la sortie de l'UE apparaît parfois comme marquée par les spécificités du Royaume-Uni, liées au rapport strictement instrumental, ou utilitaire, d'une majorité de la population britannique au projet européen. Mais cette spécificité ne peut pas masquer que le débat suscité par ce référendum résonne profondément auprès des peuples européens, en France comme dans bien d'autres pays de l'UE.

Les citoyens sont de moins en moins convaincus de ce que l'Union leur apporte, qu'elle répond à leurs priorités ou à leurs préoccupations quotidiennes, ou même simplement que la coopération européenne est efficace. Et l'argument (si britannique) selon lequel il n'y aurait pas d'alternative ne suffit plus à forcer l'adhésion, sinon par les cœurs, au moins par la raison. Ce constat n'est pas nouveau, particulièrement pas en France où il était au cœur de l'échec du référendum sur le projet de constitution européenne de 2005.

Or, depuis 2005, le scepticisme de l'opinion française n'a fait que croître, au point de placer notre pays à l'avant-dernier rang des Européens, juste avant la Grèce, en termes de soutien à l'Union européenne... Alors que

L'Europe n'a pas d'autre choix que d'aller de l'avant sur des sujets clés : croissance, investissement dans l'avenir, éducation, infrastructures stratégiques, innovation, sécurité, politique étrangère et de défense.

nous nous apprêtons à rentrer dans une campagne présidentielle, et que l'Europe est à un tournant majeur de son histoire, il semble essentiel de ne plus tarder à engager un véritable débat sur le sens de notre engagement européen et les façons pour l'Europe de répondre aux demandes de ses citoyens.

L'attente par de nombreux autres pays européens d'une nouvelle initiative franco-allemande, si elle devrait nous inquiéter sur l'appropriation de l'Europe par ses 25 autres Etats-membres plus que nous flatter sur ce que nous croyons être notre centralité, offre une occasion forte d'avancer. Mais le temps perdu en a aussi accru le risque. Comme le débat sur l'idée d'organiser un référendum en France le montre, il sera difficile d'aller de l'avant sans le soutien populaire, et donc sans une consultation démocratique.

Dans un contexte marqué par l'essor à travers l'Europe d'un populisme aussi virulent que replié, la tentation de facilité qui consiste à éviter le débat a montré ses limites. L'Europe n'a pas d'autre choix que d'aller de l'avant sur des sujets clés: croissance, investissement dans l'avenir, éducation, infrastructures stratégiques, innovation, sécurité, politique étrangère et de défense. Même les aspects institutionnels, si difficiles à traiter, ne peuvent guère être laissés de côté. Et chacun de nos pays n'a pas d'autre choix pour relever ces défis que de le faire collectivement, comme il est à craindre pour nos voisins britanniques qu'ils n'en fassent la démonstration par l'absurde.

La campagne présidentielle dans notre pays, celle des législatives qui auront lieu quelques mois plus tard en Allemagne, seront de première échéances pour ouvrir et conduire ce débat.

Mais l'Europe ne peut avancer hors-sol, en évitant le débat démocratique, en contournant la frustration et les attentes des citoyens. Et aucun débat démocratique, aucune consultation ne pourront surmonter cette frustration et convaincre ces attentes s'ils ne sont pas préparés par plus d'écoute, moins d'arguments à l'emporte-pièce, plus de place donné au débat européen et donc au débat avec nos partenaires, moins d'improvisation.

L'initiative que - il faut l'espérer - la France et l'Allemagne préparent avant de l'élargir à d'autres devra préfigurer ce discours positif sur l'Europe. La campagne présidentielle dans notre pays, celle des législatives qui auront lieu quelques mois plus tard en Allemagne, seront de première échéances pour ouvrir et conduire ce débat. Et pour sortir de notre propre version du «un pied dedans, un pied dehors».

Les Anglais, un pied dedans, un pied dehors, ou l'inverse ? Un mal qui touche l'Europe entière

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2 commentaires
  • Hans-Luzius Schmid

    le

    « L'Europe ne peut avancer hors-sol, en évitant le débat démocratique. » Pourquoi pas donner à tous les citoyens en toute l’Europe la possibilité de participer à ce débat démocratique sur l’avenir de l’Europe: www.our-new-europe.eu

  • BRIGITTE PATUREL

    le

    Tant mieux les Anglais mettent à mal l'Europe c'est bien fait

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