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«L’Union Européenne ne doit pas précipiter son accord d’investissement avec la Chine»

Le Président chinois, Xi Jinping. NICOLAS ASFOURI/AFP

FIGAROVOX/TRIBUNE - Un accord d’investissement entre l’Union Européenne et la Chine est imminent et les signataires de cette tribune collective - qui viennent de plusieurs think-tanks et instituts à travers l’Europe dont l’Institut Montaigne ou l’institut allemand MERICS - regrettent que le document provisoire discuté hâtivement lors d’une réunion des ambassadeurs des États membres vendredi dernier à Bruxelles reste aussi vague et donc peu contraignant pour la Chine.

Les pays européens devaient décider d’un accord d’investissement avec la Chine avant la fin de l’année. Un document provisoire a été approuvé à la hâte lors d’une réunion des ambassadeurs des États membres vendredi dernier à Bruxelles et une discussion au sommet devrait réunir les dirigeants européens dans les prochains jours. Malgré sept années de négociations difficiles, le texte ne constitue qu’une étape modeste dans la promotion de la réciprocité, de la neutralité concurrentielle et de règles de jeu équitables. Conclure cet accord maintenant offrirait à la Chine une victoire symbolique et rendrait plus difficile à l’avenir les actions de l’Europe sur d’autres dossiers cruciaux.

Les concessions de la Chine marquent une légère amélioration en termes d’accès au marché. Néanmoins, ce projet d’accord pèche par l’absence de promotion globale d’une ouverture économique qui serait équitable et fondée sur des règles claires et contraignantes. Le soutien d’Angela Merkel et d’Emmanuel Macron à cet accord est également imputable à certaines concessions chinoises de dernière minute.

La France a en effet obtenu quelques gestes pour son secteur des maisons de retraite, l’Allemagne est particulièrement désireuse de préserver ses intérêts dans le secteur chinois des véhicules électriques et des batteries. Si ces «victoires» se concrétisent, elles auront lieu dans le contexte d’une Chine qui renforce ses politiques industrielles visant à l’autosuffisance, et qui a relancé, à l’international, sa politique d’expansion mercantiliste.

Le travail forcé semble être devenu un élément constitutif de la politique de rééducation que la Chine mène au Xinjiang

Par exemple, le secteur des marchés publics de la Chine reste fermé. Les entreprises européennes ne seront toujours pas traitées sur un pied d’égalité dans les appels d’offres publics, un marché qui, en Chine, représente chaque année des centaines de milliards de dollars. La Chine refuse d’ailleurs de signer l’Accord sur les marchés publics de l’Organisation mondiale du commerce. L’Europe n’a pas non plus réussi à faire accepter à Pékin la création d’un tribunal pour le règlement des litiges entre investisseurs. En outre, les clauses qui égalisent les règles du jeu entre les deux parties ont peu de chance de régler le problème des subventions indirectes - généralisées en Chine.

L’un des principaux problèmes est que les engagements pris dans ce texte visant à améliorer les droits des travailleurs restent vagues. Le texte ne comprend pas d’engagement important à propos du travail forcé et de la liberté d’association. Ces sujets devront être négociés lors de futures consultations. Or dès que l’accord sera approuvé, il sera plus difficile de faire pression sur la Chine sur ce point, qui plus est alors que le travail forcé semble être devenu un élément constitutif de la politique de rééducation que la Chine mène au Xinjiang.

Dès la signature de cet accord, non seulement les marges de manœuvre de l’Europe se réduiront immédiatement sur des questions cruciales pour sa compétitivité future, mais elle perdra une capacité d’influence aussi sur d’autres dossiers relatifs à ses valeurs et à ses priorités, des droits de l’Homme à l’avenir des centrales à charbon.

2020 est l’année pendant laquelle la Chine a violé ses engagements internationaux sur le statut de Hong Kong, initié des affrontements à sa frontière avec l’Inde, tout en resserrant sa coercition militaire contre Taiwan et en initiant une politique de coercition économique à l’égard de l’Australie.

Nombre des promesses faites par la Chine à l’Europe n’ont pas été tenues par le passé. Pourquoi un texte aussi vague l’engagerait-elle davantage ?

Du point de vue de Pékin, que l’UE signe un traité d’investissement après cette séquence d’événements, au moment de la transition démocratique de l’administration Trump à la présidence Biden aux États-Unis, sera sans nul doute interprété comme une approbation sans équivoque de ses choix en 2020, voire comme un encouragement à affirmer encore davantage sa puissance.

Nombre des promesses faites par la Chine à l’Europe n’ont pas été tenues par le passé. Pourquoi un texte aussi vague l’engagerait-elle davantage? Au contraire, comme cela s’est souvent produit, après avoir remporté un succès diplomatique face à l’Europe, la Chine se tournera vers son seul client difficile - les États-Unis, avec l’avantage supplémentaire d’être parvenue à diviser les alliés pendant une transition de la plus haute importance à Washington. Que l’UE conclue son propre accord, à l’image de Donald Trump et de la première phase de l’accord commercial Chine-US il y a un an, n’aboutit qu’à affaiblir davantage le partenariat transatlantique.

Pourquoi choisir la précipitation et l’esquive d’un débat public? Pourquoi faire le jeu de la Chine? Quel message l’Europe, si fière de son intégration croissante, si disserte sur ses ambitions d’autonomie stratégique ouverte, si insistante sur son respect des valeurs, envoie-t-elle au reste du monde? Les États membres de l’Union devraient y réfléchir à deux fois.

Cet accord ne doit pas être réduit à une somme de concessions pragmatiques dans le domaine des investissements. Il touche d’autres intérêts européens importants et des valeurs fondamentales. Il en va de la crédibilité de l’Union, alors qu’elle pourrait commettre la même erreur d’accord partiel et non coordonné qu’elle avait reprochée à juste titre à l’administration Trump. Ce traité est un tournant. Il doit être négocié correctement afin de constituer l’un des jalons de la voie vers un ordre économique plus équilibré.


Les signataires de cette tribune collective sont:

François Godement, Institut Montaigne, France.

Sławomir Dębski, Directeur de l’Institut polonais des affaires internationales, Pologne.

Ingrid D’Hooghe, Institut Clingendael, Pays-Bas.

Mikko Huotari, Institut MERICS, Allemagne.

Janka Oertel, ECFR-Conseil européen des relations extérieures.

Plamen Tonchev, Institut des relations économiques internationales, Grèce.

Jonathan Holslag, Université libre de Bruxelles, Belgique.

Ivana Karaskova, Association pour les affaires internationales, République tchèque.

Mathieu Duchâtel, Institut Montaigne, France.

Nicola Casarini, Institut des affaires internationales, Italie.

Maaike Okano-Heijmans, Institut Clingendael, Pays-Bas.

Matej Šimalčík, Institut d’études asiatiques d’Europe centrale, Slovaquie.

Max J. Zenglein, Institut MERICS, Allemagne

Lucrezia Poggetti, Institut MERICS, Allemagne

«L’Union Européenne ne doit pas précipiter son accord d’investissement avec la Chine»

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13 commentaires
  • OC3013

    le

    Ouvrons les yeux et voyons ce qui arrive à l’aAustralie (article ci-dessous)

  • olbat

    le

    Le problème est connu depuis 30 ans, il suffit d'écouter la Cour des comptes. La France doit moins redistribuer dans les prestations et davantage redistribuer dans l'équipement. Automatiser et numériser les taches administratives, éviter les dédoublements de services.
    La France dépense 15 points de plus que les allemands et britanniques en proportion du pib (voir taux de prélévement obligatoires) Ce qui plombe la compétitivité des entreprises, surtaxées, et des investisseurs/retraités/entrepreneurs qui délaissent la France. Maintenir ces prestations sociales contribue à leur réélection des élus et perpétuent le problème: en faisant plonger la balance commerciale et en créant moins de recette fiscales car plombant l'activité intérieure et soutenant l'activité extérieure. Par ailleurs, les prestations sociales créent un appel d'air d'étrangers moins qualifiés et n'incitent pas à l'assimilation. Robotiser pour relocaliser et maintenir l'emploi sur notre sol (pas besoin de main d'œuvre délocalisée)
    La France était pas moins bien administrée il y a 50 ans et pourtant elle dépensait bien moins en proportion du PIB.
    Il faut que la France remette du bon sens dans sa politique. Avoir le courage de supprimer les 35H et de viser l'équilibre chaque année.

  • TIESSE DI HOYE

    le

    "On ne fait pas de politique autrement que sur des réalités." (Charles de Gaulle)
    La première réalité, c'est que les USA ne sont pas de bons alliés pour les Européens et surtout pas pour la France. La façon dont ils se sont emparé du secteur le plus stratégique d'Alstom et les menaces de taxes brandies par Trump sur plusieurs produits français le prouvent assez.
    La deuxième réalité, c'est que le bonni de la balance commerciale de l'Allemagne est supérieur à celui de la Chine ces trois dernières années:
    https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/NE.RSB.GNFS.CD?view=chart&locations=DE-CN Plus récemment, la Chine est devenu le premier marché d'exportation de l'Allemagne, qui ne va donc pas accepter de lancer une guerre commerciale avec son premier client. La troisième réalité, c'est que plusieurs pays considérés comme ennemis de la Chine ont signé avec elle le partenariat commercial transpacifique: Australie, Nouvelle-Zélande, Japon et tous les pays avec lesquels la Chine a des litiges maritimes à l'exception de Taiwan. L'Union européenne pouvait-elle obtenir un accord plus favorable pour l'emploi en son sein que celui qu'elle a signé avec Pékin? C'est ça la seule question qui mérite d'être posée. Je doute fort que ce fût possible.

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