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«Les délocalisations vers la Chine vont encore ralentir»

Les délocalisations vers la Chine vont ralentir, mais l'outil de production ne reviendra pas en Europe © Wong Campion / Reuters/REUTERS

LE SCAN ÉCO / VOS QUESTIONS - La crise chinoise vous a fait réagir. Le Figaro a sélectionné certains de vos commentaires et les a confrontés à l'analyse de Jean-François Di Meglio, président de l'institut Asia Centre, et Agatha Kratz, rédactrice en chef de China Analysis.

• Question de rienacirer: «N'est-ce pas le ralentissement du reste du monde, en particulier de l'Europe, qui commence à se faire sentir en Chine?»

Jean-François Di Meglio: Pour une part certainement, et inversement, le ralentissement visible régulièrement dans les révisions de croissance globale faites par la Banque mondiale (moins de 3% en 2015) tient en grande partie au ralentissement chinois. Mais mis à part la France et quelques pays sinistrés par la crise de la dette ou la baisse des matières premières, d'autres pays traditionnellement moteurs de croissance (par exemple les Etats-Unis) tirent vers le haut la croissance mondiale, qui n'a jamais tenu qu'à la Chine. De fait, la carte de la croissance mondiale se redessine ces jours-ci.

Agatha Kratz: Le ralentissement de l'Europe et des Etats-Unis s'est surtout fait sentir en Chine à la suite de la crise financière de 2008. En effet, suite à cette crise, les principales sources de la demande internationale pour les produits chinois se sont taries. La Chine a donc lancé un plan de relance massif, de plus de 4000 milliards de yuans. Ce sont surtout les retombées de ce plan qui se font ressentir en Chine aujourd'hui. D'autant que les réformes nécessaires pour rééquilibrer l'économie chinoise vers la consommation des ménages tardent à être mises en place. Néanmoins, les bourses internationales n'auraient pas réagi aussi violemment à l'annonce des décevants chiffres manufacturiers chinois si la situation avait été meilleure, ou moins mauvaise, en Europe et aux Etats-Unis.

« La Chine surestime le rythme de sa croissance »

Agatha Kratz

• Question de Dupont CHAN: «N'avons-nous pas surestimé le boom économique à partir des chiffres officiels chinois pour justifier l'intérêt des grands investisseurs occidentaux en Chine?»

Agatha Kratz: Le fait est que la Chine a crû plus vite et sur une période plus longue que n'importe quel autre pays, depuis les réformes de 1978. Le «miracle économique chinois», qui a tiré plusieurs centaines de millions de Chinois de la pauvreté, ne peut donc pas être remis en question. Par contre, il est effectivement probable que la Chine surestime le rythme de sa croissance. En cas de croissance rapide, une surestimation est plus facilement acceptée. En cas de ralentissement, cela inquiète.

Jean-François Di Meglio: Pour sa croissance, la Chine a indéniablement profité largement de l'intérêt des investisseurs occidentaux, attirant chaque année (jusqu'à l'année dernière) plus de 100 milliards de dollars d'investissements directs se matérialisant sous forme de délocalisations mais aussi d'usines destinées au marché chinois et asiatique. Ce flux, qui a cependant tendance à se tarir, voire à s'inverser (la Chine investit désormais plus à l'étranger qu'elle ne reçoit de l'étranger), reste une fraction du PIB chinois (1 à 2%). La majeure partie des investissements en Chine sont d'origine chinoise et nourris par les excédents commerciaux résultant de la force des exportations chinoises.

• Question de daustrasie : «La production infinie de liquidités n'a-t-elle pas créé des bulles qui explosent en Chine?»

Agatha Kratz: Bien que la Chine ait effectivement créé des «bulles» en injectant dans l'économie, via de nombreux outils de gestion publique (programmes de relance, baisse des taux d'intérêt...) des liquidités importantes, ce ne sont pas ces «bulles» (immobilier et crédit notamment) qui explosent aujourd'hui. Le secteur de l'immobilier s'est relativement stabilisé au cours de l'année passée. Ce n'est pas non plus une crise de l'endettement - le gouvernement chinois agit sur plusieurs fronts pour faire face à cette menace bien réelle. Finalement, la «bulle» boursière qui éclate aujourd'hui est peut-être la seule à ne pas avoir été créée via une production massive de liquidités, mais plutôt à cause de signaux trop positifs envoyés par l'Etat en faveur de l'investissement sur les marchés boursiers, et de politiques trop favorables au développement de ces marchés.

Jean-François Di Meglio: C'est surtout le manque de diversification des fonds destinés à recevoir ces liquidités qui a augmenté le danger. Les marchés chinois manquent de maturité et de transparence.

• Question de Stampida : «La Chine ne dispose-t-elle pas de réserves financières immenses? Elle pourra encaisser»

Jean-François Di Meglio: C'est effectivement l'arme ultime et la planche de salut définitive en cas d'aggravation de la situation. Grâce à son statut particulier, en dehors des règles monétaires internationales et des contraintes absolues de comptabilité générale, la Chine peut mobiliser comme elle l'entend ces réserves, qui fonctionnent comme un trésor de guerre déconnecté de l'économie.

Agatha Kratz: La Chine dispose effectivement de réserves financières énormes, de près de 3500 milliards de dollars. Cependant, ces réserves sont encore placées en grande partie en bons du Trésor américain (une partie est également investie dans des bons souverains en euros), et ne peuvent donc être simplement désinvesties sans créer des conséquences économiques au niveau international.

• Question de pontissalien et obelix71: «Les délocalisations vers la Chine vont-elles ralentir, voire s'inverser? Cela fera-t-il revenir des unités de productions en France?»

Agatha Kratz: Oui, les délocalisations vers la Chine vont ralentir. Et c'est déjà le cas depuis un certain temps. Par exemple, alors qu'en 2000, 40% des chaussures Nike étaient produites en Chine, seulement 30% l'étaient en 2013. La mauvaise nouvelle, c'est que ces productions à très basse valeur ajoutée (chaussures, textiles...), les plus touchées par la hausse des salaires chinois, ne reviennent pas en France ou en Europe. Elles sont délocalisées de la Chine vers d'autres pays moins chers. Ainsi, pour reprendre le même exemple, alors qu'en 2000, 13% des chaussures Nike étaient produites au Vietnam, 40% y étaient produites en 2013. Pour les produits à plus haute valeur ajoutée, que la France ou l'Europe pourraient vouloir relocaliser sur le continent européen, la Chine reste relativement compétitive, d'autant que ses ouvriers sont de mieux en mieux formés, et donc plus à même de produire de façon satisfaisante des biens de consommation plus complexes.

• Question de daphnedupont : «Pourquoi certains experts qui se sont réjouis de la croissance de ce pays et ses répercussions sur nos économies restent-ils sereins quand les affaires vont moins bien?»

Jean-François Di Meglio: Le ralentissement progressif était attendu, y compris par ces «experts», donc ils ne s'inquiètent pas exagérément. Les surréactions viennent d'une focalisation trop importante sur la signification exacte du krach boursier . Pourtant, la Bourse chinoise pèse relativement moins dans l'économie que dans d'autres pays: son ratio par rapport au PIB est moins important et son rôle de financement de l'économie moins significatif. Par ailleurs, même revue à la baisse ou recalculée selon des méthodes différentes de celles qu'utilisent les autorités chinoises, la croissance reste, malgré le ralentissement, encore réelle en Chine. Qu'elle ne suffise plus à créer autant d'emplois que nécessaire ne signifie pas pour autant que le marché chinois cesse d'être attractif.

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