Au terme d’une semaine de fortes tensions à Chypre et d’une nuit d’intense négociation bruxelloise à la veille de la réouverture des marchés financiers, les dirigeants européens reprenaient leurs esprits, lundi 25 mars, se déclarant satisfaits d’avoir conclu un plan qui, selon la chancelière Angela Merkel lundi, « évite la banqueroute » à l’île.

Le nouvel accord a été accueilli par une remontée de l’euro, repassé au-dessus de 1,30 dollar, et par un soulagement sur les places boursières. Mais, alors que l’accord tout entier reste maintenant à être appliqué, sa douloureuse négociation permet déjà à l’Union européenne d’en tirer des leçons pour la viabilité de sa construction.

1 Leçon économique: ne pas laisser dériver un modèle financier pernicieux

La négociation du plan de sauvetage de Chypre l’a montré, le nouveau président de l’île, Nicos Anastasiades, a cherché à préserver le modèle financier chypriote, unique au sein de l’Union européenne, qui permet à ses banques de recevoir de très larges sommes de déposants britanniques et russes. Les avoirs russes représentent 15 à 20 milliards d’euros sur 70 milliards d’euros de dépôts. Le secteur bancaire chypriote était devenu huit fois plus important que ce que l’île produisait chaque année, échappant donc au contrôle du pays. Un particularisme qui n’avait pas empêché Chypre d’adopter l’euro le 1er janvier 2008.

« Le système bancaire démesuré, qui a rendu Chypre insolvable en attirant d’énormes montants de capitaux avec des impôts et des taux d’intérêt irréalistes, ressemble à celui d’un paradis fiscal », estime Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert-Schuman, sur son site. « Le degré d’intégration vers lequel s’achemine la zone euro ne saurait s’accommoder de modèles économiques trop marginaux sans mettre en danger l’ensemble de l’édifice », en conclut-il.

« Le respect de simples critères formels (NDLR : nécessaires pour rejoindre l’UE puis la zone euro) ne remplace pas un accord politique et stratégique sur les objectifs de l’Union et une vision de son modèle économique et social, qui doivent être clairement partagés et constituer le vrai motif de l’adhésion », poursuit Jean-Dominique Giuliani. Un sujet de discussion avec l’Islande, qui cherche aujourd’hui à rejoindre l’UE après les errements de son secteur financier devenu lui aussi démesuré.

Sans attendre l’élargissement, l’avenir d’autres modèles économiques au sein de la zone euro pose déjà question. Si la place financière luxembourgeoise paraît sous contrôle, l’inquiétude se porte actuellement sur les banques slovènes. Selon un récent rapport du Fonds monétaire international (FMI), leur portefeuille comporte environ 7 milliards d’euros de mauvaises créances, montant qui représente 20 % de la richesse nationale de ce pays, membre de la zone euro depuis 2007.

2 Leçon d’organisation: unifier la supervision et la prise de décision

Pour les promoteurs de l’union bancaire et, plus précisément, d’une supervision directe commune des établissements bancaires partageant la même devise, la crise chypriote montre la nécessité de réaliser ce transfert de compétences au profit de la Banque centrale européenne (BCE). Un accord conclu par les dirigeants européens à leur sommet de juin 2012 prévoit une telle supervision supranationale.

Au-delà de ce nouveau plaidoyer pour assortir l’union monétaire d’une union bancaire, la gestion, ces derniers jours, de la crise chypriote a donné le spectacle d’une Europe confuse, opérant une volte-face d’un sommet de crise à l’autre (lire repères). « Les citoyens et les marchés sont déboussolés par le degré d’improvisation des dirigeants de la zone euro », a dénoncé hier Sharon Bowles, qui préside la commission des affaires monétaires du Parlement européen. Elle s’interrogeant sur le coût politique d’« accords fragiles qui durent moins de quarante-huit heures ».

« Cela montre de nouveau le pressant besoin d’une structure unifiée de commandement », renchérit Thomas Klau, du Centre de recherche sur l’Europe (ECFR) à Paris, pour qui la désorganisation bruxelloise se traduit en sentiment anti-allemand : « Ces décisions en cénacles mal identifiés conduisent les citoyens, sous la colère, à déceler leur origine politique en Allemagne. Ce qui est mauvais pour l’Europe et pour l’Allemagne. » D’où la résurgence du débat en vue des élections européennes de mai 2014 de doter la zone euro d’une « union politique », reclarifiant et relégitimant démocratiquement la prise de décision.

3 Leçon politique: des précédents à éviter

En décidant d’abord – avant de se rétracter – de taxer les dépôts bancaires en deçà du montant de 100 000 € auquel ils sont normalement garantis, l’Union européenne a trahi la confiance des épargnants européens. Un dangereux précédent pour la crédibilité politique des décideurs européens, selon l’économiste Nicolas Véron : « Dans les futurs épisodes de crises, les ménages vont se montrer déstabilisés dans leur comportement si l’assurance couvrant les dépôts n’est pas profondément réformée au niveau européen. »

En revanche, en volant coûte que coûte au secours de Chypre, les dirigeants européens ont montré leur priorité de ne pas laisser un pays quitter la zone euro, ce qui aurait provoqué, le cas échéant, un précédent autrement plus dangereux politiquement. Les économies fragilisées de l’union monétaire, de la Grèce à l’Irlande, en auraient fait les frais.