► Que s’est-il passé au Conseil de sécurité ?

Un raid aérien contre un centre de détention de migrants a fait plus de 44 morts et 130 blessés dans la soirée du mardi 2 juillet à Tajoura, une banlieue à l’est de Tripoli. Le gouvernement d’union nationale (GNA) basé à Tripoli a dénoncé « un crime odieux », attribuant l’attaque au « criminel de guerre, Khalifa Haftar », l’homme fort de l’est libyen qui mène une offensive depuis début avril pour s’emparer de la capitale libyenne. L’Union africaine et le secrétaire général de l’ONU ont réclamé une enquête indépendante sur la responsabilité de ce raid meurtrier.

Mercredi 3 juillet, lors d’une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU, tous les participants ont condamné l’attaque et souligné la nécessité d’un cessez-le-feu et d’un retour à un dialogue politique. Sans accuser nommément une partie ou une autre, un projet de texte présenté par le Royaume-Uni reprenait l’ensemble de ces éléments et soulignait la profonde préoccupation du Conseil devant l’aggravation de la situation humanitaire en Libye, en réclamant aux États membres de l’ONU un plein respect de l’embargo sur les armes, décrété en 2011. Ce texte n’a pas été adopté, en l’absence d’instructions venues de Washington pour les diplomates de la délégation américaine aux Nations unies.

► Comment s’explique la position de l’administration américaine ?

Les États-Unis ne veulent pas de résolution qui critiquerait l’offensive lancée le 4 avril contre Tripoli par les forces du maréchal Khalifa Haftar. « La conversation téléphonique du 15 avril entre Donald Trump et Khalifa Haftar a introduit une certaine confusion sur la position américaine entre la Maison-Blanche, le département d’État et le Pentagone » analyse Jalel Harchaoui, chercheur à l’Institut Clingendael. « Les États-Unis n’ont plus de politique libyenne cohérente et se contentent de réagir dans les moments de crises aiguës en sous-traitant le dossier à des pays alliés comme les Émirats arabes unis, l’Égypteet l’Arabie saoudite, les soutiens régionaux de Haftar ».

Ce n’est pas la première fois que le Conseil de sécurité n’arrive pas à se mettre d’accord sur une position commune depuis le début de l’offensive du maréchal Khalifa Haftar. Au mois d’avril, la Russie avait bloqué un projet britannique de résolution appelant à un cessez-le-feu. L’émissaire de l’ONU pour la Libye, Ghassan Salamé, avait vivement dénoncé l’incapacité de la communauté internationale à jouer un rôle constructif pour un règlement politique en Libye.

À l’instar de la France, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité se contentent de condamner les frappes sans désigner de responsable et d’appeler « toutes les parties libyennes à la désescalade et au retour au processus politique». « Si les frappes de Tajoura étaient une façon de tester la réaction de la communauté internationale, commente Jalel Harchaoui, on peut dire qu’elles ont réussi. Haftar peut continuer ses bombardements sur Tripoli ».

► Quelles retombées sur la situation sur le terrain ?

Depuis son revers du mercredi 26 juin – la perte de Gharian, une localité située à 80 km au sud-ouest de Tripoli, siège du commandement régional de ses forces –, Khalifa Haftar a décidé d’employer les gros moyens. Les bombardements de F16 ont succédé aux attaques de drones armés, une escalade préméditée qui annonce plus de victimes civiles et de destructions.

Les soutiens régionaux du maréchal, au premier chef les Émirats arabes unis et l’Égypte, n’étaient pas spécialement favorables à son offensive contre la capitale libyenne mais ils veulent à tout prix éviter son effondrement. Les Émirats arabes unis lui ont fourni des armes plus puissantes, notamment un système de missiles sol-air de fabrication russe. « Les Émirats se sentent obligés de s’assurer qu’il gagne pour protéger leur investissement », affirme Tarek Megeresi, chercheur au European Council on Foreign relations.

De son côté, la Turquie a livré des véhicules blindés et des drones de combat au camp adverse, les forces loyales au gouvernement d’union nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj. En trois mois, la bataille de Tripoli a fait environ 700 morts, 4 000 blessés et près de 100 000 déplacés.