C’est une énième preuve du désenchantement qui régit, aujourd’hui, l’état d’esprit des électeurs quant à l’avenir de la construction européenne. Selon un nouveau sondage réalisé par l’institut britannique YouGov et publié jeudi 16 mai par le Conseil européen pour les relations internationales (ECFR), les citoyens appelés à se rendre aux urnes, entre le 23 et le 26 mai, auraient le moral en berne à une semaine du scrutin.

Secouée par les remous d’un interminable Brexit, une large majorité d’entre eux n’exclut en effet pas l’éventualité d’un « démantèlement » de l’Union Européenne (UE) dans les dix ou vingt prochaines années. Et les Français font course en tête : ils sont 58 % à estimer cette hypothèse « très probable » ou « assez probable », pratiquement au coude-à-coude avec les Italiens et les Polonais (57 %), et loin devant les Allemands (50 %) et les Espagnols, en queue de classement, avec 40 % de sondés tablant sur ce même scénario.

D’après l’enquête – dont le nom, Sept jours pour sauver l’Union Européenne, témoigne bien de la volonté du think tank de mener une véritable bataille d’opinion pour rassurer une « majorité silencieuse » et abstinente –, cette inquiétude généralisée est multiforme. Anxiété liée à la baisse du pouvoir d’achat, à la hausse du chômage, des prix des logements… « Ce sentiment de précarité relève premièrement d’une dimension économique importante », peut-on lire dans le rapport, « dans presque tous les pays sondés, une majorité de personnes estiment que la vie de leurs enfants serait pire que la leur ».

« Compétition »

« La France figure ainsi parmi les pays membres les plus sceptiques : 79 % d’entre eux jugent que le système politique national ne fonctionne plus, à l’instar de celui européen »,explique àLa Croix Susi Dennison, directrice du programme Europe Puissance à l’ECFR et coautrice du rapport. « Pour autant, les deux tiers des Européens gardent une image positive de l’UE, selon l’Eurobaromètre, et il s’agit là du score le plus élevé depuis 1983 », tempère-t-elle.

D’un point de vue géopolitique, « les Européens s’inquiètent de la volatilité de la conjoncture internationale, en particulier de l’incertitude qui règne dans les relations entre l’UE et les États-Unis, la Chine et la Russie », pointe l’enquête. D’après celle-ci, seulement 8 % des 50 000 sondés (1) jugent qu’un tel effondrement de l’UE « ne serait pas une réelle perte ».

Plus alarmant encore, trois électeurs sur dix craignent la résurgence, à l’avenir, d’un risque de guerre entre les pays membres, même si la construction européenne reste largement perçue comme un « projet de paix ». Ils sont ainsi 38 % au total à juger cette possibilité « réaliste », contre 36 % d’avis opposés et 20 % sans opinion.

« Pour ces individus, la réalité de l’Europe contemporaine est celle d’une compétition plutôt que d’une coopération. Ils ne pensent pas nécessairement que la guerre éclatera demain, mais bien qu’il existe une logique de conflit dans un continent profondément divisé », observe le rapport. Une perspective qui les pousserait alors dans trois directions ; vers une déconnexion avec le système politique, une abstention au prochain scrutin européen, ou encore une adhésion à des formations eurosceptiques.

« Plan de bataille »

Quel pourrait être le plan de bataille pour rassurer les électeurs ? « Le défi pour les partis proeuropéens traditionnels est maintenant de renouer le contact avec ces deux tiers d’électeurs qui croient toujours que le projet européen est une bonne chose, mais qui pensent que le système ne fonctionne plus », conclut Susi Dennison, « ils devront réussir à les convaincre que cela vaut la peine de voter, en gardant à l’esprit les questions qui les préoccupent pour l’avenir ».

(1) Issus de 14 pays représentant 80 % des sièges du Parlement.