La Croix : Boris Johnson a annoncé une augmentation de 10 % du budget de la défense britannique. Faut-il y voir les éléments d’une stratégie pour l’après-Brexit ?

Nick Witney : Trois instincts principaux dictent l’approche du gouvernement dans les affaires internationales. D’abord, celui des brexiters, selon lesquels quitter l’Union européenne et s’affranchir de ses règles n’est pas suffisant : une rupture plus profonde est nécessaire pour sortir du champ de gravitation de l’Europe.

Le second consiste à affirmer que le Royaume-Uni a les atouts d’une grande puissance. Enfin, il y a le désir de rester un allié militaire privilégié de la puissance américaine – ce qui redevient une perspective réaliste avec Joe Biden à la Maison-Blanche.

La décision d’augmenter les dépenses de défense ne s’inscrit pas dans une stratégie définie à l’avance et nul ne sait d’où viendra l’argent. L’horizon de Boris Johnson est de 24 heures. Ses décisions sont prises sur la base de ce qui peut lui donner une bonne image dans les journaux du lendemain.

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C’est un premier ministre qui a une majorité substantielle au Parlement mais qui est très faible au sein de son parti. Il doit constamment se méfier des députés conservateurs rebelles : les libertariens, de plus en plus opposés aux restrictions imposées aux libertés individuelles dans la crise sanitaire, et ceux du nord de l’Angleterre, élus dans des circonscriptions traditionnellement travaillistes, qui se demandent si les promesses de campagne seront tenues.

Nick Witney : « Le Royaume-Uni veut rester le principal allié des États-Unis dans l’Otan »

Quelles sont, dans ce contexte, les orientations possibles de la politique de défense et de sécurité ?

N. W. : La « revue intégrée » de la politique étrangère, de défense, de sécurité et de développement, annoncée pour le début 2021, doit définir ces orientations stratégiques. Le ministre des affaires étrangères Dominic Raab a lancé l’idée d’une bascule vers la région indo-pacifique, là où se trouvent les nouveaux marchés, les nouvelles technologies et la croissance économique.

En outre, l’Indo-Pacifique est perçu comme la zone où la Grande-Bretagne pourra remplir une mission de soutien à ses alliés, de défense de la démocratie et du libre-échange, face à la menace des régimes autoritaires. C’est également une région dans laquelle le Royaume-Uni peut se concilier les bonnes grâces des Américains en jouant les supplétifs.

La contribution du Royaume-Uni à l’Otan devrait également être réajustée en se concentrant sur l’espace, le ­cyberespace et l’intelligence artificielle. L’aspiration de Londres à rester le deuxième­ plus important pays au sein de l’Alliance après les États-Unis est justifiée, avec une administration Biden encline à inciter les alliés européens à y jouer un plus grand rôle.

L’idée d’un Conseil de sécurité européen associant le Royaume-Uni, avancée par Emmanuel Macron, peut-elle séduire les Britanniques ?

N. W. : C’est une perspective plausible mais pas à court terme où l’accent sera mis sur la nécessité de se libérer du champ de gravitation de l’Europe. Une fois que ce sera fait, pourquoi pas une instance de concertation avec les États-nations européens les plus importants comme l’Allemagne et la France, à partir du moment où ce n’est pas l’Union européenne ? Ce serait compatible avec la volonté de Boris Johnson de jouer un rôle clé dans le G7 ou avec son idée d’un « D 10 », une alliance des démocraties.

Les coopérations bilatérales avec la France et d’autres pays de l’UE sont-elles menacées ?

N. W. : Il va y avoir beaucoup à faire pour reconstruire et stabiliser les relations transmanche, en particulier dans le domaine des échanges d’information, de renseignement et de transfert de données personnelles. La façon dont cette question sera réglée aura des implications économiques cruciales pour le secteur des services et le secteur financier, de même que sur la volonté de coopérer plus largement dans le domaine de la défense et de la sécurité.

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La coopération entre les industries d’armement pourrait être une source de friction dans les années à venir. Le projet d’avion de combat du futur (Scaf) entre la France, l’Allemagne et l’Espagne est en concurrence avec le programme Tempest développé par les Britanniques avec la Suède et l’Italie.

La question est de savoir si le Royaume-Uni peut mener à bien ce projet. Si ce n’est pas le cas, dans vingt ou trente ans, il sera trop tard pour négocier une participation dans le projet européen. L’industrie de défense britannique risque de subir un dommage collatéral de la création d’un Fonds européen de défense et de l’impulsion vers une plus grande autonomie stratégique européenne.