Installés dans un vaste café de Ramallah, une vingtaine d’hommes fument la chicha en discutant de l’avenir de leur pays. Personne n’ignore, sous ces néons blafards, que le Parlement français est appelé mardi 2 décembre à se prononcer pour ou contre la reconnaissance de l’État palestinien.

« On finira par l’avoir, notre État ! lance Chuck Hamdan, quinquagénaire à la voix forte. C’est un pays, ici, et on se battra jusqu’à ce que tous les autres le reconnaissent, comme ils ont reconnu Israël. »

Def Allah, un Bédouin au keffieh rouge et blanc, est moins confiant : « Je crois que les Européens veulent sincèrement nous aider, mais ils ne peuvent pas arrêter Israël, qui fait pression sur leurs gouvernements. » L’homme n’en reste pas moins convaincu que devenir citoyen palestinien améliorerait son quotidien. « Aujourd’hui, dès que j’avance de deux mètres hors de Ramallah, je ne suis plus chez moi, assure-t-il, et un Israélien peut m’attraper… »

La France, chef de file idéal

Les 400 000 colons juifs vivant en Cisjordanie (61 % du territoire est sous contrôle israélien) affaiblissent évidemment la viabilité d’un éventuel État palestinien – mais sans le condamner pour autant, assure Saeb Banya, ancien ministre palestinien délégué à l’économie. « Avec des gestes politiques suffisamment forts, la communauté internationale peut forcer Israël à faire marche arrière, prévoit-il. La reconnaissance de notre État n’est qu’un premier pas, il aurait dû être fait depuis longtemps. Le temps passe, et un régime d’apartheid est en train de prospérer en Cisjordanie. »

Plus que la Suède ou la Grande-Bretagne, la France apparaît aux yeux de nombreux Palestiniens comme le chef de file idéal pour engager un mouvement de reconnaissance en cascade. « La France est toujours restée fidèle aux valeurs de sa Révolution, elle comprend mieux notre conflit que ses voisins européens », estime l’ancien ministre Saeb Banya.

>A lire : Les députés français divisés sur la reconnaissance de l’État palestinien

Depuis le discours de François Mitterrand à la Knesset en 1982, le Quai d’Orsay prône la solution dite « à deux États », avec Jérusalem pour capitale et sur la base des frontières de 1967. Parlez de la France aux Palestiniens, et ils citeront avantageusement le nom de Jacques Chirac : ils n’ont oublié ni son agacement face aux excès de la sécurité israélienne (lors d’une visite à Jérusalem en 1996), ni son hommage à Yasser Arafat (après son décès en France, en 2004). Quant au « chant d’amour pour Israël et ses dirigeants » évoqué par François Hollande à Benyamin Netanyahou en novembre 2013, beaucoup de Palestiniens semblent l’avoir oublié…

La paix avant toute chose

Tous ne placent pas autant d’espoir dans le vote français de mardi. Ali, qui tient une boutique dans le centre de Ramallah, juge ces débats très éloignés de la réalité. « Vous ne voyez pas ? On est en Israël, ici ! On ne va pas avoir un État pour nous, alors que notre Autorité palestinienne n’a aucun pouvoir véritable. »

Pour ce commerçant fatigué, le plus important c’est de vivre en paix aux côtés des Israéliens, car « s’il y a une guerre, ce sont eux qui gagneront ». De son côté, le jeune Mohanad Salous, étudiant à l’université de Bethléem, avance qu’« on ne bâtit pas un État sans une économie viable, or la Palestine est très loin de l’indépendance à ce niveau-là ».

L’action contestée de Mahmoud Abbas

La stratégie du président Mahmoud Abbas, qui a choisi d’internationaliser le conflit après avoir constaté l’échec des négociations bilatérales avec Israël, ne convainc pas tout le monde. « Et après la reconnaissance de l’État ? » s’enquiert un Palestinien qui travaille pour l’Union européenne à Jérusalem.

Mahmoud Abbas, qui approche des 80 ans et bat des records d’impopularité en Cisjordanie, devrait selon lui prendre des décisions plus radicales. « Il pourrait renoncer à ses fonctions et rendre les clés de la Palestine à Israël, qui serait alors obligé de s’occuper de nous… Il est temps de mettre Israël face à ses responsabilités. »

Si le Parlement français approuve la reconnaissance de leur État, les Palestiniens laisseront sans doute éclater leur joie. Mais il pourrait suffire de quelques jours pour que cette ardeur retombe, comme après l’obtention, en novembre 2012, d’un statut d’observateur à l’ONU – une victoire restée avant tout symbolique.

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Les pays qui ont reconnu l’État palestinien

- 15 novembre 1988. Le conseil national palestinien déclare unilatéralement l’indépendance de la Palestine à Alger, lors de sa 19e réunion. Dans les jours qui suivent, 75 États reconnaissent cette indépendance. Parmi eux, une majorité de pays d’Afrique et du Moyen-Orient et une partie de ce qui est alors le bloc soviétique.

- 29 novembre 2012. La Palestine est admise comme État observateur non membre de l’ONU par 138 voix pour, 9 contre et 41 abstentions.

- L’Autorité palestinienne se prévaut actuellement de la reconnaissance de la Palestine comme État indépendant par 135 pays, soit près de 70 % des 193 États membres de l’ONU.

- Début octobre 2014, le Parlement britannique fait un geste symbolique en émettant le souhait que le Royaume-Uni reconnaisse la Palestine en tant qu’État. Ce vote non contraignant ne modifie cependant pas la politique étrangère britannique.

- Fin octobre, la Suède est le dernier pays en date à reconnaître l’État de Palestine par un décret.