François Hollande l’a reconnu jeudi 21 août, lors de son déplacement à l’île Maurice : la lutte contre l’État islamique (EI) doit s’organiser à l’échelle mondiale. « Si le monde ne s’organise pas par rapport à ce groupe, il y aura d’autres images aussi effroyables », a-t-il déclaré, en référant au meurtre du journaliste américain James Foley, assassiné par le groupe djihadiste qui le tenait en otage.

Une base territoriale

Depuis qu’il a réussi à prendre le contrôle d’une partie de l’Irak et de la Syrie, l’EI fait en effet trembler au-delà de ses frontières. « Il a environ 12 000 hommes en Irak, il possède du matériel sophistiqué récupéré sur les troupes irakiennes, et il pourrait avoir une fortune d’un milliard de dollars » (environ 750 millions d’euros), énumère Alaya Allani, spécialiste des questions islamistes à l’université de Tunis.

« Les militants de l’EI sont beaucoup plus radicaux et fanatiques qu’Al-Qaida, et bénéficient de plus de moyens que n’en avait cette organisation. De plus, ils ont une base territoriale, ce qu’Al Qaida n’a jamais eu, complète Karim Pakzad, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) et spécialiste de l’Irak. Il s’agit bien d’une menace planétaire ! »

L’implantation territoriale de l’EI est importante, puisqu’elle lui permet en partie de s’autofinancer, notamment en prélevant des impôts. « Dans les territoires qu’il a conquis, il n’a pas détruit les structures étatiques déjà présentes, il s’est simplement mis à leur tête », explique Mathieu Guidère, professeur d’islamologie à l’université Toulouse II.

Des groupes djihadistes, inspirés par l’EI

Le conflit a déjà eu des répercussions au Liban voisin. Le 2 août, des djihadistes venus de Syrie ont attaqué l’armée à Aarsal, une localité du Nord-Est du pays. Les affrontements, qui ont duré cinq jours, ont causé des dizaines de victimes parmi les civils et les militaires libanais, ainsi que parmi les djihadistes.

Les experts craignent aussi que de nombreux groupes djihadistes, inspirés par l’EI, ne décident de renforcer leurs actions. La semaine dernière, par exemple, Al-Qaida dans la péninsule arabique (Aqpa) a félicité l’EI pour ses victoires et a menacé de s’en prendre aux États-Unis si ceux-ci continuaient leurs frappes aériennes.

En Malaisie, la police a annoncé au début de la semaine l’arrestation de 19 islamistes radicaux. Ceux-ci préparaient des attentats dans le but d’établir un califat islamique en Asie du Sud-Est.

Enfin, les autorités européennes craignent que l’EI n’attire à lui tous ceux qui souhaitent prendre les armes et devenir djihadistes. Ainsi, en avril dernier, Laurent Fabius estimait qu’environ 500 Français combattaient en Syrie, au sein de groupes djihadistes. Quatre mois auparavant, ils n’auraient été que 184, selon le ministère de l’Intérieur.

Au Sénat, une commission d’enquête sur les réseaux djihadistes doit être mise en place le 1er octobre. Elle établira un diagnostic des filières de recrutement et proposera des pistes pour lutter contre eux.

Des frappes aériennes américaines insuffisantes

Face à cette menace mondiale, les frappes aériennes américaines semblent insuffisantes. « Elles ne suffiront pas pour stopper l’EI, estime Lina Khatib, responsable de l’antenne libanaise du Carnegie Center. De plus, elles ne constituent pas une stratégie de long terme. »

Aux États-Unis, certains experts demandent une action militaire plus poussée. Par exemple, l’historien Max Boot, spécialiste des questions militaires, propose dans un article de la revue Commentary d’intensifier les frappes, et d’envoyer 10 000 hommes au sol.

Barack Obama a annoncé qu’il continuerait ces frappes, mais n’envisage pas d’envoyer de troupe au sol. Un « haut responsable américain » a confié à l’AFP que le Pentagone envisageait d’envoyer 300 soldats supplémentaires, ce qui porterait à environ 1 150 le nombre de soldats et de conseillers militaires présents dans le pays. Il s’agirait néanmoins uniquement de conseillers militaires et de troupes dédiés à la protection du personnel diplomatique.

La contre-attaque doit venir de la Syrie et de l’Irak

D’autres spécialistes estiment néanmoins qu’une intervention directe serait inutile. « Lors de l’invasion de l’Irak, les Américains n’ont pas réussi à éradiquer le terrorisme, note Julien Barnes-Dacey, chercheur au European Council on Foreign Relations (ECFR) Il y a peu de chance qu’ils y arrivent cette fois. » Selon lui, la contre-attaque doit surtout venir de la Syrie et de l’Irak, « de façon coordonnée, car l’EI est implanté dans ces deux pays. » Selon lui, une telle action est possible si l’État irakien réussit à regagner la fidélité des tribus sunnites du Nord de l’Irak.

« Ces tribus, délaissées par le pouvoir central chiite irakien, ont noué des alliances avec l’EI, explique-t-il. Mais il s’agit d’accords de circonstance, pas d’affinité idéologique. » Selon Alaya Allani, certains groupes sunnites de la région de Mossoul ont d’ailleurs déjà commencé à combattre l’EI, « horrifiés par sa cruauté. »

Réaction de la France

La France, elle, préfère jouer la carte du multilatéralisme et de l’action collective. Dans un entretien au Monde paru mercredi 20 août, François Hollande propose d’organiser « prochainement » une conférence internationale. Une telle approche n’est toutefois pas facile à mettre en œuvre, étant donné la diversité des positions dans la communauté internationale.

Ainsi, rien qu’au niveau européen, les ministres des affaires étrangères ont tardé à se réunir, et n’ont pas réussi à s’accorder sur une position commune concernant les livraisons d’armes. Et au niveau international, certains États pourraient exiger une contrepartie pour s’engager contre l’EI.

Ainsi, le ministre iranien des affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a déclaré qu’il n’acceptera de s’engager davantage contre ce groupe que s’il peut obtenir des avancées favorables dans les négociations nucléaires, qui doivent reprendre en septembre. « Si nous acceptons de faire quelque chose en Irak, a-t-il expliqué à la télévision d’État, l’autre partie dans les négociations devrait faire quelque chose en retour ».