Toujours plus nombreuses, par la terre ou par la mer, les arrivées de demandeurs d’asile ici et là sur le Vieux Continent réveillent les incompatibilités d’humeur et les crispations au sein de la famille européenne. D’un côté, il y a des États membres qui y vont de leurs réponses personnelles à un problème commun. De l’autre, la Commission européenne, qui essaie de réunir cette fratrie divisée.

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La Hongrie a annoncé, mercredi 17 juin, sa décision de construire une clôture de 175 km de long et de 4 mètres de haut à sa frontière avec la Serbie. Plus de 54 000 demandeurs d’asile, venus de Syrie, d’Irak et du Kosovo pour la plupart, l’ont franchie depuis le début de l’année, pénétrant ainsi dans un pays qui n’a pas l’habitude d’accueillir les exilés.

En 2012, seuls 2 000 réfugiés étaient entrés en Hongrie. Les tourments du Proche-Orient et le blocage, par une autre clôture, de la frontière entre la Bulgarie et la Turquie, expliquent cette progression soudaine.

La réponse commune de l’UE pas encore adaptée

Le symbole est fâcheux d’un grillage aux confins d’un pays qui, en septembre 1989, fut le premier à ouvrir une brèche dans le rideau de fer. « Une réponse commune de l’UE à ce défi (la pression migratoire, NDLR) prend trop de temps et la Hongrie ne peut plus attendre », a justifié le ministre des affaires étrangères, Peter Szijjarto.

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La « réponse commune » de l’UE n’a, de fait, pas encore été adoptée. Présentée par la Commission en mai, elle consiste à répartir 40 000 demandeurs d’asile originaires de l’Érythrée et de Syrie, qui peuvent prétendre sans conteste au statut de réfugié, arrivés en Italie et en Grèce après le 15 avril, dans l’ensemble des États membres.

Une « clé de répartition », combinant plusieurs données dont, la population, le taux de chômage…, fixe la participation de chaque État : l’Allemagne doit accueillir près de 8 700 personnes, la France, 5 700, la Lituanie, 500.

Rendez-vous les 25 et 26 juin au sommet des dirigeants

Timide mais inédite, une telle solution doit être adoptée à la majorité qualifiée des États. Celle-ci reste improbable et rien n’indique, pour le moment, qu’elle sera atteinte lors du sommet des dirigeants, les 25 et 26 juin prochains, qui doit en grande partie porter sur le sujet.

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Une réunion des ministres de l’intérieur des Vingt-Huit, le 16 juin, a mis au jour les divergences. « Il y a deux groupes de pays, indique une source au Conseil européen. Ceux qui acceptent le caractère obligatoire du système tout en contestant le nombre de réfugiés qui leur est attribué, estimant qu’ils en font déjà assez. Et ceux qui se disent solidaires mais considèrent qu’il ne faut pas de mécanisme obligatoire. »

L’Allemagne et la France appartiennent au premier groupe. « L’Allemagne tient à ce que tous les États participent à ce programme, par crainte que l’essentiel des réfugiés ne viennent chez elle », précise Josef Janning, analyste au bureau berlinois du Centre européen pour les relations étrangères.

L’argument des vases communicants

Par ailleurs, Berlin fait la sourde oreille à l’argument des vases communicants – en vertu duquel la participation d’un État à telle ou telle mission européenne l’exempterait de l’accueil de réfugiés. « Pour Berlin, cela ajouterait à la mentalité de “bazar”, ce n’est pas une bonne manière de gouverner l’Europe. »

La France et l’Allemagne partagent aussi l’avis que l’ensemble de la solution de la Commission, et pas seulement la « clé de répartition », doit être adopté. Parmi les réponses qui leur sont chères, la règle selon laquelle le premier pays de l’UE où le demandeur d’asile a mis le pied doit prendre les empreintes de ce dernier et traiter son dossier. Un engagement que l’Italie ne remplirait pas toujours, se limitant à un rôle de « tuyau » plutôt que de pays d’accueil.

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L’Espagne ou la Hongrie font partie du second groupe. La position de Madrid tient au sentiment de ne pas avoir compté les efforts économiques jusqu’à présent. Celle de Budapest s’explique quant à elle par l’impératif de défendre la souveraineté nationale face à « Bruxelles », préoccupation souvent revendiquée par le premier ministre Viktor Orban.

« La solidarité n’est pas à sens unique »

Face à l’expression de ces divisions, l’Italie a menacé de faire cavalier seul. « L’Europe doit faire sa part, si elle ne le fait pas, nous ferons tout seul, c’est notre plan B », a lancé le président du Conseil italien, Matteo Renzi, lundi 15 juin, sous-entendant que Rome laisserait les demandeurs d’asile quitter le territoire vers le reste de l’UE.

Cette menace a été déployée à l’approche du sommet des 25 et 26 juin. « C’est une négociation très difficile », explique à La Croix le secrétaire d’État italien aux affaires européennes, Sandro Gozi.

Une négociation où les arguments sont d’autant plus acérés que les valeurs fondamentales de l’UE sont en jeu. « La solidarité n’est pas à sens unique, ajoute Sandro Gozi, on ne peut seulement appartenir à l’UE pour recevoir des fonds. »

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En Europe, plus de 600 000 demandeurs d’asile en 2014

Plus de 620 000 migrants ont demandé l’asile en Europe en 2014, contre 435 000 en 2013. L’Allemagne, première destination, a reçu plus de 200 000 demandes, soit 60 % de plus qu’en 2013. Numéro deux, la Suède en a reçu 81 000. En troisième et quatrième positions, l’Italie et la France en ont reçu respectivement plus de 64 000 et plus de 62 000.

De janvier à mai 2015, plus de 100 000 migrants ont traversé la Méditerranée, et au moins 1 865 se sont noyés.