« La Banque centrale européenne est prête à faire tout ce qu’il faut pour préserver l’euro et, croyez-moi, cela sera suffisant. » Lorsque Mario Draghi, le président de la BCE, a prononcé ces mots magiques, le 26 juillet 2012 à Londres, les taux exorbitants auxquels l’Espagne ou l’Italie devaient s’endetter ont enfin commencé à décliner. Et la Grèce, sous perfusion financière, resta dans la zone euro.

Les deux présidents du Conseil européen et de la Commission européenne, Herman Van Rompuy et José Manuel Barroso, avaient eu beau dire la même chose, leur impact avait été nul sur les spéculations contre l’euro qui duraient depuis 2009.

« Ce fut le tournant. Les marchés ont alors réalisé que même si les risques en Italie et en Espagne étaient très élevés, l’euro avait une banque derrière elle », note José Ignacio Torreblanca, chercheur au Conseil européen des relations internationales (ECFR), un centre de réflexion établi dans plusieurs capitales européennes.

La BCE, sauveur de la monnaie unique

Depuis, l’institution de Francfort, créée en 1998, indépendante et non élue, passe souvent pour le sauveur de la monnaie unique. Car, à l’inverse des Vingt-Huit et même de l’Eurogroupe des dix-huit ministres des finances de la zone euro, « elle peut prendre des décisions en quelques heures, voire quelques minutes ; nous n’avions qu’elle contre la crise », souligne un haut fonctionnaire européen. Quitte à élargir son mandat (stabiliser les prix) en rachetant de la dette publique ou en négociant les mesures d’austérité réclamées au Portugal, à la Grèce, à l’Irlande, la BCE a, depuis la crise, donné le ton. Y compris sur le récent échafaudage de l’« Union bancaire ».

« La BCE ne veut ni ne peut gouverner la zone euro », affirme aujourd’hui Jean-Claude Juncker, ancien premier ministre du Luxembourg, ancien président de l’Eurogroupe et candidat du Parti populaire européen (PPE, centre droit) à la présidence de la Commission. Désireux de rééquilibrer les pouvoirs en faveur de la Commission et de l’Eurogroupe, il propose de doter ce dernier d’une présidence permanente.

Ce qu’on appelle la « méthode communautaire » – la Commission propose des législations, le Conseil des ministres et le Parlement européen codécident – a été sérieusement affectée par la crise de l’euro. Même si elle reste valable pour de nombreux sujets, notamment liés au marché intérieur.

La troïka, symbole de l’austérité en Europe

La crise de l’euro aura, par ailleurs, consacré le rôle dominant du Conseil européen, qui réunit les chefs d’État et de gouvernement de l’UE. « Le tandem Merkel-Sarkozy était une sorte de gouvernement, de facto, de l’UE, au cœur de la crise », rappelle José Ignacio Torreblanca. « Merkel était surtout en charge et Sarkozy était le porte-parole. » De cette impulsion sont nés le traité budgétaire qui impose aux États une stricte discipline comptable, le complexe Mécanisme européen de stabilité financière ou encore la controversée troïka.

« La troïka a été créée par les ministres de l’Eurogroupe, souverains sur les questions financières, avec le soutien de leurs parlements nationaux. Ce n’est pas une instance européenne », plaide un haut fonctionnaire de la Commission, comme pour dédouaner l’UE. Composée d’experts du Fonds monétaire international (FMI), de la Commission et de la BCE, elle est chargée de contrôler les réformes prescrites par l’Eurogroupe aux pays de la zone euro sous assistance financière.

Mais elle est surtout devenue le symbole de l’austérité en Europe et la source de la colère des Grecs qui lui associent tant de sacrifices sociaux. Au sein même de la troïka, les critères du FMI se sont vite imposés, comme ils s’imposèrent en Asie ou en Amérique latine. Puis, au fil du temps, l’UE a gagné en expertise, non sans faire de mauvaises expériences, comme le calamiteux sauvetage des banques chypriotes.

La Commission, de son côté, a certes gagné en pouvoir de surveillance budgétaire et économique des États, mais son rôle d’initiatrice a faibli. « Tout le monde sait qu’elle est devenue le secrétariat des États », résume une source parlementaire. Quant au Parlement, il a serré les rangs pour peser dans l’adoption de législations clés qui encadrent désormais cette surveillance. « Mais il n’a pas pu aller plus loin, c’est-à-dire contrôler le Conseil, l’Eurogroupe et la troïka. Ce sont les États qui décidaient », poursuit le chercheur José Ignacio Torreblanca.

En fin de mandat, avec notamment la publication d’un rapport critique sur la troïka, les eurodéputés ont compris « qu’il leurfallait se reconnecter avec les gens et dénoncer les erreurs, note-t-il encore, mais c’était un peu tard, puisque les populismes avaient déjà crû ».

À la veille du scrutin européen, les principaux partis et leur tête de liste entendent pallier ce déficit démocratique. Exemple : le libéral Guy Verhofstadt veut en finir avec la « méthode Barroso » reprochant à la Commission d’appeler d’abord Berlin et Paris avant de prendre une initiative. Mais les États pourraient, eux, continuer de privilégier des portes dérobées.