Deux ans et demi après le début de la guerre au Yémen, aucun accord ne se profile entre les belligérants tandis que s’allonge la liste des maux qui accablent le pays. Détenant déjà de longue date le triste record d’État le plus pauvre du Moyen-Orient, celui-ci doit désormais composer en plus avec une crise humanitaire aiguë, caractérisée par d’innombrables cas de sous-nutrition, une épidémie de choléra, des pénuries en tout genre.

L’exacerbation des nombreuses fragilités yéménites sous l’effet du conflit montre l’urgence d’y mettre fin. Malgré leurs efforts, les Nations unies ne sont pourtant pas parvenues à réunir les partisans du président élu, Abd Rabbo Mansour Hadi, épaulés par une coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite, et les rebelles houthistes, soutenus de façon distendue par l’Iran. Un échec qui conduit les connaisseurs du pays à envisager une autre piste pour empêcher la dérive : le recours aux tribus, d’une importance telle au Yémen qu’elles structurent la société plus que l’État.

Les tribus, « loin des réseaux sociaux »

« Une tribu, c’est un groupe de personnes liées les unes aux autres qui choisissent un leader pour résoudre des problèmes et qui sont gouvernées par des principes plus forts que la religion », indique Cheikh Abdulkarim al-Maqdashi, chef tribal originaire de Dhamar, à 100 km au sud de Sanaa, de passage à Paris (1), vendredi 8 septembre.

D’après Cheikh Abdulkarim al-Maqdashi, le dialogue avec les chefs tribaux constitue un moyen de rallier les populations à la paix. Il est d’autant plus possible que l’attachement de ces dernières à tel ou tel camp révèle une grande souplesse. « Les tribus sont à même de travailler avec toutes les parties, elles ne sont pas dogmatiques », explique-t-il après avoir livré un indice de l’enjeu qu’elles représentent. « Les deux parties tentent de les avoir de leur côté », relève-t-il. Cheikh Abdulkarim al-Maqdashi sait de quoi il parle. Issu d’une famille très influente, il a déjà joué les médiateurs entre les factions qui se battent aujourd’hui.

Mal connues, « loin des réseaux sociaux » comme le note ce dernier avec humour, les tribus au Yémen sont souvent désignées comme une cause des affrontements, ce qui a conduit la diplomatie à négliger ce partenaire. « Il est très important de reconnaître qu’un des problèmes qui conduit à la guerre est que nous ne comprenons pas les résultats positifs qui peuvent provenir du niveau local », note Laurent Bonnefoy, chargé de recherche au CNRS et spécialiste de la péninsule arabique.

Importance de l’implication européenne

D’après lui, les tribus constituent le bon échelon local de discussion. Leur participation ne peut toutefois être mise en œuvre sans implication de la communauté internationale. « Non pas par des moyens militaires, mais sur le terrain de la diplomatie et celui du développement, poursuit Laurent Bonnefoy. Sans investissement, le Yémen restera un pays qui génère de l’instabilité dans la région. »

D’après ce dernier, l’Union européenne (UE) est la mieux placée pour être cet acteur diplomatique. « Les tribus ont une grande confiance dans l’Europe en raison de sa neutralité », confirme Cheikh Abdulkarim al-Maqdashi. Au début du mois d’août, la visite à Sanaa d’Antonia Calvo, représentante de l’UE au Yémen depuis près d’un an mais qui, jusqu’alors, ne s’était encore jamais rendue dans le pays, a soulevé de grands espoirs.

(1) Pour une intervention sur le sujet organisé par le European Center on Foreign Relations (ECFR) et réunissant également les spécialistes Adam Baron, de l’ECFR, et Laurent Bonnefoy, chargé de recherche au CNRS.