Pourquoi le processus démocratique était-il en panne en Irak ?

Les députés irakiens ont élu mardi Salim al-Joubouri (parti islamique irakien) comme nouveau chef du Parlement. Cette élection met fin à un blocage des institutions politiques qui durait depuis plusieurs semaines.

Le 30 avril, la coalition du premier ministre sortant Nouri Al-Maliki était sortie victorieuse – sans majorité – des élections législatives. Deux mois plus tard, la première séance du Parlement, émaillée d’insultes et de menaces, avait été levée et reportée au 8 juillet. Deux autres réunions avaient ensuite dû être reconduites faute d’accord sur le nom du chef du Parlement.

Ce poste est tacitement réservé à un sunnite. La communauté sunnite, deuxième par son importance dans le pays, devait donc proposer un candidat au Parlement. Mais, divisée, elle a mis du temps à trouver une figure qui fasse l’unanimité.

« Les sunnites sont divisés depuis 2003 sans leadership uni pour s’imposer face aux deux alliances chiite et kurde », précise Myriam Benraad, chercheuse associée au Ceri-Sciences Po. Pour la spécialiste, les négociations ont aussi été complexifiées par le contexte de l’offensive djihadiste de l’État islamique (EI), qui fait peser la menace de l’éclatement du pays. Les partis sunnites sont accusés, notamment par Nouri Al-Maliki, d’être liés à l’EI et à l’ancien parti Baas.

Que va-t-il se passer maintenant ?

L’élection du chef du Parlement est la « première étape dans le processus primordial de la formation d’un nouveau gouvernement », a souligné John Kerry, chef de la diplomatie américaine. Après avoir choisi Salim al-Joubouri, les députés doivent désormais élire le président de la République, traditionnellement un Kurde.

L’élection devrait avoir lieu le 23 juillet, lors de la prochaine séance du Parlement. Barham Saleh, « un homme de négociations et de compromis », devrait être le candidat des Kurdes pour remplacer Jalal Talabani, l’actuel président de la République, selon Myriam Benraad.

Le nouveau chef d’État devra ensuite désigner le premier ministre, poste destiné à un chiite. Le chef de la majorité devrait conduire ce gouvernement. « Mais si Nouri Al-Maliki est arrivé en tête des élections législatives, il n’a pas obtenu la majorité. Il faut qu’il trouve un accord inter-chiite », explique Hosham Dawod, anthropologue au CNRS et basé en Irak.

Nouri Al-Maliki a déjà annoncé son intention de rester au pouvoir bien qu’il soit la cible de nombreuses critiques. « On lui reproche d’être autoritaire, d’avoir divisé les Irakiens, de ne pas avoir entamé les démarches de reconstruction », détaille Hosham Dawod.

Selon Myriam Benraad, il est très probable que Nouri Al-Maliki soit reconduit pour un troisième mandat. Les États-Unis, l’Iran et l’Arabie saoudite devraient le soutenir, à condition qu’il accepte de partager le pouvoir avec les sunnites. « Est-il prêt à concéder du pouvoir à ses adversaires, à un dialogue constructif avec les Kurdes ? », s’interroge la chercheuse, qui estime que le premier ministre sortant ne reproduira pas le scénario de 2010. Il avait fallu neuf mois pour former un nouveau gouvernement.

Mercredi 16 juillet, pour la première fois, un influent religieux chiite, s’est prononcé pour le départ de Nouri Al-Maliki. Le porte-parole de cheikh Ali al-Najafi a déclaré que la non-réduction du premier ministre sortant était « une partie de la solution ».

Quels défis devra relever le prochain gouvernement ?

Myriam Benraad estime que trois principaux défis attendent le futur gouvernement irakien. La question sécuritaire arrive en tête : l’EI mène une offensive depuis le 9 juin et a repris de nombreuses villes dans le nord, dans l’ouest et l’est du pays. « Il faut reprendre en main le territoire avec une campagne de contre-insurrection » et « une remobilisation de la population civile », dont une partie n’a plus confiance dans le gouvernement.

La spécialiste de l’Irak cite comme deuxième chantier les réformes socio-économiques et de reconstruction. « Cela passe par une diversification de l’économie, la création d’emplois. » Dernier défi : « renforcer les institutions pour les légitimer » et « lutter contre la corruption » à tous les étages.