L'Inde dans les tumultes électoraux

Kumbh Mela, grand rassemblement hindou : pèlerins passant devant les bannières électorales du parti Bharatiya Janata, devant 1 image du président Amit Shah, à droite, à Prayagraj, Uttar Pradesh, Inde, 17 janvier 2019.  ©Getty - Prashanth Vishwanathan/Bloomberg via Getty Images
Kumbh Mela, grand rassemblement hindou : pèlerins passant devant les bannières électorales du parti Bharatiya Janata, devant 1 image du président Amit Shah, à droite, à Prayagraj, Uttar Pradesh, Inde, 17 janvier 2019. ©Getty - Prashanth Vishwanathan/Bloomberg via Getty Images
Kumbh Mela, grand rassemblement hindou : pèlerins passant devant les bannières électorales du parti Bharatiya Janata, devant 1 image du président Amit Shah, à droite, à Prayagraj, Uttar Pradesh, Inde, 17 janvier 2019. ©Getty - Prashanth Vishwanathan/Bloomberg via Getty Images
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Inde, élections : quels enjeux et tensions? "La prise du pouvoir par les nationalistes hindous tend à faire basculer l’Inde dans un nouveau type de régime, la démocratie ethnique, et ce grâce au succès électoral d’une forme de national-populisme incarné par Narendra Modi", note Christophe Jaffrelot.

Avec
  • François Godement Historien et sinologue, conseiller pour l’Asie à l’Institut Montaigne, membre associé du Carnegie Endowment for International Peace
  • Tara Varma Directrice du bureau de Paris du think tank European Council on Foreign Relations (ECFR)
  • Jean-Joseph Boillot Économiste, spécialiste des grands pays émergents
  • Christophe Jaffrlot Directeur de recherche au CNRS

Les élections générales n'auront lieu qu'en avril ou en mai, la date précise n'en a pas encore été fixée, mais la campagne électorale bat déjà son plein. Un processus de plusieurs mois : ainsi s'étire la vie politique en Inde. La démocratie représentative la plus peuplée du monde, dont la complexité est à la mesure des enjeux : immense tant sur le plan des institutions et de leur évolution que sur le plan économique et de la société.
Il y a 10 jours une attaque suicide  contre des policiers indiens au Kashmir, cette région à majorité musulmane, à la frontière du Pakistan et de la Chine, a ajouté encore aux tensions. Chauffée à blanc depuis cinq ans par le discours nationaliste hindou du premier ministre sortant Narendra Modi, l'opinion publique crie vengeance.

Champion d'un national-populisme à l'indienne Modi est politiquement affaibli dans quelques états clés de cette vaste fédération. Comment le Premier Ministre va-t-il riposter face  à cette attaque islamiste, revendiquée par un mouvement solidement  installé au Pakistan, le frère ennemi détesté, massivement soutenu par l'Arabie Saoudite et par la Chine. Quelle promesse peut il faire à une population frappée par un chômage de masse, malgré le rythme soutenu de la croissance? Jusqu'où ses rivaux politiques, à commencer par la famille Gandhi, ont-ils le vent en poupe? Les grilles de lectures européennes, basées sur les religions et sur les castes, sont-elles toujours pertinentes? Angoissée par cette Chine conquérante, qui avance sur la route de la soie, comment l'Inde, premier acheteur d'armes au monde, conçoit-elle son rôle régional et international?

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Autour de Christine Ockrent :

Christophe Jaffrelot, directeur de recherche au Centre de recherches internationales de Sciences Po/CNRS, spécialiste de l'Inde et du Pakistan. Il publie Inde : nationalisme hindou, populisme et démocratie ethnique, le 20 mars prochain, chez Fayard. 

"La prise du pouvoir par les nationalistes hindous tend à faire basculer l’Inde dans un nouveau type de régime, la démocratie ethnique, et ce grâce au succès électoral d’une forme de national-populisme incarné par Narendra Modi", note Christophe Jaffrelot dans son dernier livre. "Pour saisir l’ampleur de cette transformation, il faut rappeler que ce pays se caractérise par un exceptionnel pluralisme religieux dont la survie est aujourd’hui menacée. Certes l’hindouisme, d’après le recensement de 2011, représente 80 % de la population totale mais, outre que le milieu hindou est divisé en de nombreux courants sec- taires, il laisse plus de 240 millions d’âmes à d’autres cultes."

Narendra Modi et les candidats du BJP lors d’un rassemblement électoral à Dwarka le 1er février 2015 à New Delhi, en Inde.
Narendra Modi et les candidats du BJP lors d’un rassemblement électoral à Dwarka le 1er février 2015 à New Delhi, en Inde.
© Getty - Virendra Singh Gosain/Hindustan Times via Getty Images

Tara Varma, directrice adjointe du bureau de Paris du European Council on Foreign Relations à Paris

par téléphone Jean-Joseph Boillot, membre du cercle Cyclope et chercheur associé à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS). Il a publié L'Inde ancienne au chevet de nos politiques : l'art de la gouvernance selon l'Arthashâstra de Kautilya dans la collection “questions d’époque” chez les éditions Le Félin en 2017. 

François Godement, historien spécialiste de la Chine et de l’Asie, conseiller pour l’Asie à l’Institut Montaigne, ancien professeur à Sciences Po. Vous avez publié avec Abigaël Vasselier La Chine à nos portes : une stratégie pour l'Europe aux éditions Odile Jacob en octobre 2018.

Qui est Priyankha Gandhi, qui se lance en politique à 47 ans avec un patronyme célèbre ?

Priyanka Gandhi Vadra (R) et sa mère Sonia Gandhi participent ensemble à un rassemblement politique le 14 février 2012 à Rae Bareli, en Inde.
Priyanka Gandhi Vadra (R) et sa mère Sonia Gandhi participent ensemble à un rassemblement politique le 14 février 2012 à Rae Bareli, en Inde.
© Getty - Photo par Subhankar Chakraborty / Hindustan Times via Getty Images

La revue de presse d'Eric Chol, Directeur de la rédaction de Courrier International

Il y a un quart de  siècle, un journal anglophone indien avait évoqué la possibilité que Priyanka Gandhi entre en politique après ses études. A l’époque, la jeune femme terminait ses études de psychologie à l’université de New Delhi et elle était âgée de 21 ans. 

« La prédiction s’est révélée fausse, mais elle résonnait comme une évidence », écrit aujourd’hui le National Herald. 

Car la longue attente a finalement pris fin, le 23 janvier dernier, avec la nomination de Priyanka au poste de Secrétaire Générale du Parti national du Congrès, un poste clef, où elle sera responsable  pour les prochaines élections de la partie orientale de la région de l’Uttar Pradesh. 

« Désormais,  explique le journaliste,  la question à un million de dollars est de savoir si la carte Priyanka va fonctionner. Est-ce que la fille de Rajiv Gandhi, la petite fille d’Indira Gandhi et l’arrière petite fille de Jawarharlal Nehru va réussir à  rebattre le jeu politique indien ? »

L’auteur de l’article, l’historien Pramod Kumar, en est convaincu. Selon lui, il est arrivé à plusieurs reprises dans le passé que les Indiens votent sans considération de caste, de communauté ou de région, trompant ainsi tous les pronostics. De même, depuis l’assassinat de son père Rajiv Gandhi en 1991, Priyanka est considérée comme une probable future Indira Gandhi. Il faut dire qu’elle bénéfice d’un atout très visible : c’est sa ressemblance avec sa grand-mère, « qui a toujours été un sujet d’admiration », insiste le journaliste. Il suffit de voir les photos des deux femmes : même cheveux noirs bouclés courts, même sourire, même détermination dans le regard, et souvent les mêmes couleurs de saris. 

Mais les Indiens n’en ont-il pas assez de cette dynastie Gandhi ? 

Ce qui est vrai, c’est que l’entrée en politique de Priyanka a relancé le débat sur cette famille pas comme les autres, depuis notamment qu’en 1959, Nehru a nommé sa fille Indira âgée de 42 ans présidente du parti du Congrès. Le quotidien indien DNA parle aujourd’hui de “la saison 5.2 de Dynastie”. Priyanka est en effet la descendante de trois Premiers ministres, elle est aussi la sœur de Rahul, qui a succédé à la fin de 2017 à leur mère Sonia à la présidence du Parti du Congrès. Elle est donc, explique le journal,  "la cinquième représentante de cette famille, et la deuxième de sa génération (d’où le “5.2”)". 

Pour le chroniqueur indien Minhaz Merchant, auteur d’une biographie de Rajiv Gandhi, cette arrivée de Priyanka dans la politique indienne n’a rien d’un scoop. Dès 1991, elle aidait son père à faire campagne, écrit-il dans un article du site Daily O. La même année, Priyanka entre dans l’histoire, poursuit le journaliste, quand, au petit matin du 22 mai 1991, elle prend l’avion en direction de Chennai, avec sa mère Sonia, pour ramener à Delhi le corps de son père assassiné à l’âge de 46 ans. Le jour des funérailles, elle montre un caractère d’acier, réconfortant sa mère, aux côté de son frère Rahul, rentré précipitamment des États-Unis. Au cours des 30 années suivante, elle restera cette personnalité forte, mais silencieuse. Avant de reprendre le flambeau de la famille.  

“Pourquoi tout le monde s’excite-t-il alors qu’en quarante ans de ‘dynastification,’ de nombreux politiciens ont transformé leur circonscription en domaines et qu’ils s’y comportent en maharajas ?”, s’interroge aujourd’hui The Hindustan Times. Priyanka Gandhi arrive en réalité “là où on l’attendait”, comme d’autres “fils ou filles de” l’ont fait au BJP, poursuit le journal.

Mais pour Pryianka,  une autre difficulté l’attend ; son mari avec lequel elle a eu deux enfants, a des ennuis avec la justice. Le « mini Tycoon de l’immobilier », comme le surnomme la presse est en effet soupçonné de blanchiment d’argent. De quoi ternir l’image d’une famille qui ne fait plus rêver les Indiens.  Car si les Gandhi sont toujours “utiles” à l’organisation du parti, “ils attirent de moins en moins les bulletins de vote” remarque l’Indian Express

Perfide, le journal insiste :  Priyanka va devoir maintenant répondre à la question que ne manqueront pas de lui poser les électeurs : 

“Qu’avez-vous fait jusqu’à présent, vous qui n’avez jamais occupé aucun poste ni aucune fonction ?"

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