Trump, idéologue ?

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Une idéologie qui se rapproche sur certains points du souverainisme, mais s'en éloigne sur d'autres.

Mark Leonard, le directeur du think tank européen Council on Foreign Relations, a mis en ligne hier un texte assez passionnant qui donne ses propres réponses aux questions avec lesquelles je me débats depuis le début de la semaine : de quoi est faite l’idéologie de Trump ? Et comment la situer dans le contexte du conservatisme américain ? Il est titré : Trump, the ideologue. On ne prend pas assez au sérieux le nouveau président américain, écrit Leonard. La forme que prend sa politique – excessive et grotesque – avec ses rafales de twitts, ses déclarations à l’emporte-pièce fascine autant qu’elle exaspère la « classe bureaucratique ». Au point qu’on ne fait pas assez attention aux contenus. Chez Trump, « l’intensité l’emporte sur la consistance », écrit-il joliment. La plupart des observateurs ont renoncé à analyser son idéologie, parce qu’elle ne correspond à rien de ce qu’ils connaissent. Ils sont comme hypnotisés par le serpent.

Et cela rappelle, écrit Mark Leonard, l’aveuglement des libéraux, comme des conservateurs britanniques, face aux débuts de Margareth Thatcher. Ils ont mis du temps à comprendre qu’elle menait, en tant que Premier ministre, une politique révolutionnaire, une politique qui reflétait et amplifiait des mutations sociales qu’elle avait perçues avant tout le monde au Royaume-Uni.

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En fait, c’est un éditorialiste de la revue Marxism Today, qui a créé le terme de thatchérism en 1979. A l’époque, tous les politologues ne raisonnaient qu’en termes de géographie électorale. Ils étaient incapables de percevoir la nouveauté radicale qu’ils avaient sous les yeux. Thatcher, elle, avait perçu l’insatisfaction croissante d’une partie importante de la population envers l’ordre ancien et s’apprêtait à le renverser. Elle avait choisi ses ennemis : les mineurs, les syndicats, les colonels argentins. Trump aussi a compris la colère des catégories ouvrières et populaires américaines et leur donne voix. Il provoque les porte-paroles des minorités, parce qu’il sait que ses partisans les détestent.

Trump est tout sauf un idéologue, mais il s’appuie sur des idéologues. Et au premier chef sur des gens issus de l’altright (la droite alternative) comme Stephen Bannon. Ce dernier a défini ainsi le trumpisme : « sécurité nationale, souveraineté, nationalisme économique, déconstruction de l’Etat administratif ». Il dit aussi : « nous sommes une nation qui a une économie. Pas juste une économie dans un marché mondial aux frontières ouvertes. »

Je vous parlais ces jours-ci des organes intellectuelles qui accompagnent la présidence de Trump et essaient de lui donner une idéologie cohérente. C’est en particulier le cas du site American Greatness. Voyez le genre de conservatisme dont il se réclame : nous voulons, écrivent ses rédacteurs non pas réformer le conservatisme, mais le refonder. Cette refondation ne saurait être le fait d’un élu, voire d’un groupe d’experts. Elle ne peut être le fait que du peuple américain lui-même. Or, poursuivent les rédacteurs, « la nation américaine a succombé à ses divisions et aux factions. Elle est infectée du virus insidieux et étranger des politiques de l’identité, qui ont dérobé aux Américains leur identité véritable en tant que peuple. » Or, nous voulons demeurer un peuple. « Le peuple américain dans sa totalité, tel qu’il existe aujourd’hui. »

L’idéologie professée par American Greatness se rapproche du souverainisme européen, mais s’en distingue sur un point : elle professe une grande méfiance envers l’Etat et une grande confiance envers les communautés de base. Elle est décentralisatrice. Ses concepteurs dénoncent, en effet, « un Etat administratif toujours plus centralisé et plus irresponsable devant les citoyens ». « Il nous dérobe – je cite – l’opportunité de gouverner nos propres vies en tant que citoyens libres et égaux, sous le règne de la loi ».

C’est au nom des libertés américaines traditionnelles que ce nouveau conservatisme réclame le retour à la souveraineté. A ses yeux, celle-ci, dont la « force sur la scène internationale » est l’un des moyens, constitue l’une des « conditions de la liberté ». Cette priorité implique que la liberté des échanges commerciaux, et celle des marchés, qui demeurent des principes de base, soient équilibrés par des mesures protectionnistes face à des partenaires qui ne respectent pas nécessairement les mêmes règles, « idéales dans l’abstrait ». Il ne s’agit donc pas d’un protectionnisme de principe, comme pour les souverainistes européens, mais d’une simple exigence de réciprocité.

Le domaine de l’immigration est analysé aussi comme une question de souveraineté. « Les peuples ont le droit de se prononcer sur qui ils acceptent ou non pour voisins. » lit-on dans le manifeste de American Greatness. La culture et le caractère américains doivent être préservés. « Bien sûr, nous ne pensons pas impossible à quelqu’un qui est né à l’étranger de devenir un bon Américain. Ca n’a rien à voir avec l’ethnie ou la race. Mais avec le caractère, la culture, les habitudes. » Ces conservateurs se défendent de tout racisme, mais ils se prononcent pour une immigration choisie, sur le modèle canadien.

Enfin, sur le plan international, la rupture avec les néo-conservateurs est radicale. Car « si les conservateurs doivent se réjouir du développement de la démocratie dans les pays étrangers, nous devons rompre avec l’idée que chercher à répandre la démocratie est un objectif nécessaire. » Et encore : « nos forces armées n’ont pas vocation à servir de missionnaires politiques. » La priorité, ce sont les intérêts américains. Politique d’abord et égoïsme sacré : un maurrassisme américain, en somme.

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